Tribune Juin 2018 : « Invités à la Réconciliation »

« Dans ses blessures nous trouvons la guérison. » (Is 53, 5 ; cf. 1 P 2, 24)
Notre Dame des Douleurs de Latroun

La Vierge du Salve qui orne notre église de Latroun dédiée à Notre Dame des Douleurs (ou de la Compassion) est une statue de facture originale. Cette sculpture représente la Mère de Dieu avec un visage grave et serein, portant sur son bras gauche l’enfant Jésus qui repose sa tête sur la croix qu’elle lui présente de l’autre main. Il y a quelques années, le Père Francesco Rossi de Gasperis s.j., qui accompagne parfois des groupes de pèlerins, en a fait le commentaire suivant devant notre communauté :

Pour le jésuite italien, il s’agit non seulement d’une Mater dolorosa, mais surtout d’une Vierge glorieuse ; en effet, cette scène ne se trouve dans aucun récit de l’évangile. On peut considérer que l’enfant Jésus symbolise l’Église, Corps du Christ. Après la résurrection, Marie invite chaque baptisé à se réconcilier avec ses blessures et son histoire. Quand la souffrance nous submerge, elle nous empêche généralement de rencontrer l’autre dans la sienne. Avec le recul, parfois, et la grâce, il devient possible d’accueillir sa vie passée et présente, avec la part de meurtrissures qu’elle contient. Alors nous pouvons apprendre à comprendre celles de l’autre, accueillir l’autre tel qu’il est, pour le rencontrer en vérité.

« Jésus vint et se tint au milieu et il leur dit : “Paix à vous !”
Ayant dit cela, il leur montra ses mains et son côté. »
(Jn 20, 10-20)

Au fond, c’est le Seigneur lui-même qui nous appelle à ce mouvement de réconciliation. Au soir de Pâques, le Ressuscité apparaît à ses disciples, leur présentant ses mains transpercées, son cœur ouvert.

On aurait pu s’attendre à ce que la résurrection efface toute trace de la Passion du Sauveur, ces plaies que l’histoire a marquées dans sa chair. Au lieu de cela, elle les a transfigurées, en a fait des canaux pour sa grâce : « Recevez l’Esprit Saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis » (Jn 20, 22-23). Ces marques sont devenues le sceau indélébile de son amour pour chacun de nous :

« Vois, je t’ai gravée sur les paumes de mes mains » (Is 49, 16).

Ouvrant ses mains et montrant la porte de son cœur, le Christ semble nous inviter, à notre tour, à accueillir nos propres blessures et à les lui offrir, pour qu’elles deviennent une occasion de nous ouvrir à sa grâce et à la vraie joie : « Il y a en chacun une faille, par laquelle Dieu peut passer », dit le Père André Cabes. Alors, nous laissant envahir par son Amour miséricordieux, nous pouvons, à notre tour, le transmettre.

« Réjouissez-vous avec qui est dans la joie, pleurez avec qui pleure. » (Rom 12, 14-15)

Pour revenir aux propos du Père De Gasperis, Latroun se trouve au carrefour de différentes cultures par la composition de la communauté, par la diversité des origines de ses voisins et visiteurs qui viennent y chercher un peu de calme dans une vie souvent marquée par les tensions. De plus, le monastère se situe à la frontière historique[1] entre deux peuples qui ont chacun beaucoup souffert au cours de son histoire, sans compter les plus récentes populations qui portent aussi leurs lots d’épreuves (travailleurs venant d’Éthiopie, d’Europe de l’Est,…). Latroun a sans-doute un rôle à jouer à cet égard, disait le théologien : en se laissant réconcilier avec Dieu et avec soi-même (cf. 2 Cor 5, 20), chaque membre peut accueillir sa vie telle qu’elle est et aller à la rencontre de l’autre. En essayant de vivre comme communauté réconciliée – travail de chaque jour ! –, invitons nos voisins à se laisser réconcilier avec Dieu, avec eux-mêmes et entre eux. Cela vaut non seulement pour notre abbaye, mais pour nous tous, je crois, habitants de cette Terre Sainte et meurtrie.

Que Dieu lui-même fasse germer les semences de communion qu’il a déposées dans le cœur de chacun !

« [Il a voulu] les réconcilier avec Dieu, tous deux en un seul Corps, par la Croix : en sa personne il a tué la Haine. » (Eph 2, 16)

 

F.Christian-Marie o.c.s.o.

Moine de l’abbaye de Latroun 

(Cet article reprend, en les développant, les idées de la conclusion d’une contribution à la revue Les Amis des Monastères, Fondation des Monastères, Paris, n° 194 d’avril 2018 sur « Moines et moniales en Terre sainte », p.53.)

[1] Dite « Ligne verte » : De 1948 à 1967, l’abbaye se trouvait sous le gouvernement jordanien, alors que 90% de nos terres étaient dans le no man’s land.