Les Chrétiens à Gaza
Dans un passage de l’Évangile selon Matthieu (Mt 2, 13-23), la Sainte Famille se serait enfuie vers l’Egypte pour échapper à Hérode. Selon la tradition ils auraient fait une halte à Gaza.
A travers l’histoire, La Fuite en Égypte a inspiré peintres et sculpteurs et ancré cet événement dans l’imaginaire populaire.
Si la vie des chrétiens au Moyen-Orient est devenue souvent très douloureuse et tragique il nous a semblé bon de rappeler à travers le témoignage d’hommes et de femmes de tous âges et de toutes conditions, que l’histoire et le vécu des chrétiens de Gaza n’est pas toujours conforme à l’image rapportée par les médias. C’est le propos déroulé dans l’ouvrage Chrétiens de Gaza, écrit par Christophe Oberlin à partir de ses rencontres avec des musulmans et des chrétiens et de mes propres interviews pour le film Chrétien à Gaza.
Jean-Baptiste Humbert, dominicain et archéologue à l’Ecole Biblique et Archéologique Française de Jérusalem a séjourné à maintes reprises à Gaza pour ses chantiers de fouilles. Il commente l’historique du christianisme à Gaza et la réalité de nos jours.
Le père Manuel Musallam, curé palestinien de la paroisse latine raconte sa vie auprès des palestiniens de Gaza pendant 14 ans. « Je ne suis pas resté à Gaza seulement parce que j’étais chrétien, mais parce que j’étais palestinien ! » et qui ajoute « les chrétiens ne souffrent pas des musulmans, mais avec les musulmans », faisant allusion aux quatre guerres depuis dix ans et au bouclage total de Gaza. Il regrette que les prêtres des églises soient tous des étrangers qui ne parlent pas l’arabe et « la messe qui n’est pas en arabe, c’est l’église qui n’est plus arabe et les fidèles qui sont étrangers chez eux ». Avec son ami le cheikh Salameh ils ont écrit au Pape pour l’inviter à venir à Gaza ! Au sein de leur association ils travaillent à étendre la tolérance et le pluralisme en Palestine.
Dans les écoles confessionnelles toutes les classes sont entièrement mixtes et plus de 90% des élèves et 70% des professeurs sont musulmans, même si les directions sont chrétiennes. Des cours de religions sont assurés pour les deux communautés. Selon sa directrice « l’Ecole de la Sainte Famille est une école où l’on apprend à vivre ensemble ! »
Il ressort des ces interviews que les reproches adressés parfois aux femmes chrétiennes non voilées, sont presque toujours le fait de personnes ignorant qu’il y a des chrétiens à Gaza ! Rajah, orthodoxe, ancien responsable d’une grande compagnie pétrolière émigré et citoyen Canadien depuis 45 ans commente « tout ce que vous voyez dans le monde musulman en Syrie, en Libye en Irak, n’existe pas à Gaza. Nous étions trois chrétiens à l’école et on ne se demandait pas : ‘celui-ci ou celui-là est-il chrétien ou musulman ?’ ! »
Sameer employé à l’église latine ajoute « le fait d’être chrétien pose peu de problème. Jusqu’à présent je n’avais jamais pensé à émigrer, mais la situation a changé à cause du blocus». Pour Suzy son épouse « Gaza est une belle ville, mais parfois on a envie de partir pour assurer l’avenir de nos enfants et pour éviter les reproches de certains, mais aussi pour être près de nos familles, car quatre des frères de Sameer vivent à l’étranger». Samia, l’ancienne professeur de mathématiques explique combien il est difficile d’obtenir des autorités israéliennes le permis pour sortir de Gaza et se rendre dans les lieux saints de Jérusalem ou Bethléem au moment des fêtes religieuses. La dernière fois elle a obtenu une permission de quelques jours, mais pas sa sœur,
« alors nous sommes donc restées à Gaza ! » soupire-t-elle. Ceux qui s’exilent tentent de faire sortir leurs familles mais ce problème n’est pas spécifique aux chrétiens. Depuis la quasi fermeture avec l’Égypte, la situation a empiré et le passage devenu très aléatoire voire impossible et rien n’a vraiment changé depuis l’annonce d’une réconciliation nationale.
Dans le partage de la joie des uns et de la peine des autres, ainsi est-on chrétien à Gaza !
Serge NEGRE,
photographe et ambulancier, Serge Nègre a participé à l’ouvrage « Chrétiens de Gaza » de Christophe Oberlin, Editions Erick Bonnier, 2017 (que nous vous avions présenté dans ce précédent article)