Les écoles chrétiennes en Terre Sainte : éduquer à la paix.
Terre sainte : des écoles au cœur du conflit
Israël et les Territoires palestiniens comptent une cinquantaine d’écoles chrétiennes qui accueillent des élèves de différentes confessions. De Ramallah à Gaza en passant par Tel Aviv, les équipes éducatives ont un but : éduquer à la paix.
Comme tous les matins, Jeries, 16 ans, se dirige vers son lycée. Avant d’entamer dans deux ans des études d’ingénieur électronicien, il poursuit sa scolarité à Notre-Dame-de l’Annonciation, à Ramallah, dans les Territoires palestiniens. Dès 8 h, Naela Rabah, chef d’établissement, débutera la journée des élèves et de leurs professeurs rassemblés dans la cour par l’hymne national palestinien, suivi d’une prière. En remarquable éducatrice, Naela dirige l’un des cinq établissements scolaires chrétiens de la ville, composé d’une classe par niveau de la maternelle à la terminale, dont les bâtiments s’articulent autour de l’église paroissiale melkite construite au xixe siècle.
À l’instar de la cinquantaine d’écoles chrétiennes présentes en Israël et dans les Territoires palestiniens, l’établissement accueille chrétiens et musulmans parmi les enseignants et leurs élèves. « Les écoles, en Palestine ou en Israël, sont les premiers lieux où les enfants grandissent en apprenant une culture de paix », assure le père Faysal Hijazen, directeur général des trente-sept écoles du Patriarcat latin de Jérusalem. Sur cette terre malmenée par les conflits, l’éducation est un ferment de paix, ce dont les équipes éducatives ont pleinement conscience. Celles-ci ont un rôle qui dépasse les simples exigences pédagogiques. Il peut toutefois différer en fonction de la situation géopolitique de leur établissement.
« Ceux qui fréquentent notre école ignorent le racisme »
À Gaza, dans les trois établissements scolaires chrétiens – deux catholiques, un orthodoxe – regroupant plusieurs milliers d’élèves, un accompagnement particulier a été proposé aux élèves. En septembre 2014, au lendemain de l’opération « Bordure protectrice », lancée dans la bande de Gaza par l’armée israélienne le 8 juillet 2014, sœur Nabila, directrice de l’école du Rosaire, organisa ainsi une journée consacrée à la verbalisation par ses élèves des deux mois de guerre qui venaient de prendre fin. Groupes de parole, dessins et chansons furent un moyen pour chacun d’exprimer ses sentiments avant d’entamer l’année scolaire. À 80 km de là, le collège des Frères de Jaffa, à Tel Aviv, accueille une population hétérogène. Dans un souci de fraternité commun aux établissements lasalliens, Maha Abed, la directrice, compose avec une communauté éducative dans laquelle juifs, chrétiens et musulmans se côtoient. Les projets pédagogiques réunissent ainsi des élèves qui, à l’âge adulte, gardent un attachement au vivre ensemble cher aux valeurs de l’Évangile. Dernier exemple, l’école latine de Naplouse. Situé sur une des collines qui encerclent son centre-ville historique, cet établissement créé en 1904 par trois sœurs de Saint-Joseph de l’Apparition pour soutenir l’éducation des jeunes filles est maintenant un lieu de vie chrétien dans une ville à 97 % musulmane. Abeer Hana le dirige en affirmant : « Nous nous donnons pour mission de réunir des élèves chrétiens, musulmans et samaritains dans le respect mutuel. Ceux qui fréquentent notre école ignorent le racisme. Nous transmettons notre foi au travers d’un témoignage d’amour. »
Au-delà d’un souci de cohérence dans une population plurielle, les enseignants font grandir leurs élèves, avec des moyens parfois minimes, en leur donnant un enseignement de qualité. La barre est haute pour les professeurs, et leurs élèves sont en attente. Si, lorsqu’on leur demande la matière qu’ils préfèrent, les élèves répondent majoritairement : « la récréation » dans un grand éclat de rire, on sent néanmoins chez eux une vive curiosité : les questions fusent à l’approche d’un visiteur étranger, et l’on peut s’étonner de la grande connaissance qu’ils ont des autres cultures, au-delà de leurs frontières.
Sentinelles de la paix
Les réseaux sociaux sont investis, les projets avec des classes d’autres continents sont nombreux, l’accueil et les voyages scolaires sont une priorité pour tous. Le Réseau Barnabé de l’enseignement catholique français (voir encadré) les favorise en encourageant les partenariats, la formation de professeurs de français, une coopération entre chefs d’établissement de part et d’autre de la Méditerranée, et l’animation de camps de vacances dans les écoles par de jeunes chrétiens français. C’est ainsi que, pour la septième année consécutive, Jeries a passé une dizaine de jours en juillet 2016 avec Benoît et Sarah, respectivement éducateur au lycée Passy–Saint-Honoré et professeur de français à Thérèse-Chappuis, à Paris. Plus au sud, à côté de Bethléem, c’est l’école latine de Beit Jala qui, depuis 2014, accueille des éducateurs, professeurs et adjoints en pastorale scolaire d’Apprentis d’Auteuil pour un camp d’été en français.
En Terre sainte, le temps religieux rythme l’année scolaire, partagée entre le calendrier lunaire pour les fêtes musulmanes, et les calendriers julien et grégorien pour les différents temps forts orthodoxes et catholiques. Les chefs d’établissement jouissent néanmoins d’une grande souplesse et il n’est pas rare de voir les écoles fermer à plusieurs dates différentes pour une même fête religieuse… Imams et aumôniers se succèdent pour les cours de religion où chrétiens et musulmans se séparent. Le vendredi et le dimanche sont les jours de fermeture depuis l’époque où la Cisjordanie dépendait des autorités jordaniennes dans les Territoires palestiniens, afin que tous puissent passer en famille leur pause spirituelle hebdomadaire. C’est ainsi que Jeries, grec-orthodoxe, côtoie dans l’école grecque-catholique de Ramallah ses amis de différents rites religieux. On s’invite, on se connaît, dans une terre où la religion a des contours sociaux, culturels et familiaux.
Le contexte d’enseignement est là : la porosité entre la situation politique du pays et l’environnement social d’élèves confrontés à un manque de visibilité de leur avenir est prégnante. Toutefois, ces écoles restent majoritairement un exemple de créativité et de remise en question.
Naela Rabah, enrichie par ses voyages et ses rencontres, toujours en quête d’innovation, garde un regard aigu sur les possibilités de renouvellement éducatif, tout en restant attentive aux exigences traditionnelles des familles de l’école qu’elle dirige. Dans ce lieu de vie qui se veut protecteur, Jeries est assuré d’être éduqué dans une atmosphère maintenue par des « sentinelles de la paix », chères à saint Jean-Paul II.
En 2006, le service culturel du Consulat général de France à Jérusalem sollicite l’enseignement catholique pour soutenir l’enseignement du français, présent alors uniquement dans les écoles chrétiennes. La direction diocésaine de Paris crée alors le Réseau Barnabé pour soutenir et mettre en lien les établissements de toute la France qui s’engagent dans un projet avec une école de Terre sainte. Parallèlement, diverses actions de formation des professeurs de français voient le jour. Depuis dix ans, cinquante-cinq stages ont eu lieu dans des établissements catholiques de Marseille, Paris ou Reims, vingt camps d’été se sont tenus à Bethléem, Beit Jala, Naplouse et Ramallah, et plus de soixante-dix partenariats entre établissements ont pris corps avec, chaque année, des idées nouvelles.