Dans une conférence donnée le 3 février 2016 à l’Oeuvre d’Orient, Monseigneur Maroun Lahham a présenté un panorama des chrétiens du monde arabe avant de décrire plus précisément la situation des chrétiens en Jordanie, et se penche également sur le sort des réfugiés chrétiens syriens et irakiens. Enfin, il a proposé une réflexion sur l’avenir des chrétiens dans le monde arabe.
LES CHRÉTIENS DE JORDANIE, DE SYRIE
ET D’IRAKJe remercie l’œuvre d’Orient, pour l’attention qu’elle porte aux chrétiens d’Orient, et surtout pour me donner cette opportunité de parler des chrétiens de Jordanie, de Syrie et d’Irak. Permettez-moi d’abord de brosser un rapide panorama de la mosaïque des chrétiens du monde arabe.
PANORAMA. Les chrétiens dans le monde arabe sont de deux catégories : D’abord, les chrétiens arabes et qui sont les descendants des premiers chrétiens. Ils se trouvent dans les pays qui vont de l’Irak jusqu’en Égypte, en passant par la Syrie, le Liban, la Jordanie et la Palestine. La deuxième catégorie représente les chrétiens qui se trouvent dans les pays du Golfe et de l’Afrique du nord, et qui sont en grande majorité, des étrangers. Il existe aussi des chrétiens étrangers dans les pays de la première catégorie, mais ce sont surtout des personnes de passage. Quant au nombre, je sais qu’il est odieux de parler statistiques, d’autant plus qu’en Orient les chiffres sont ronds. Mais pour donner une idée : Les chrétiens arabes (je ne dis pas dans les pays arabes car il y a au moins deux millions de chrétiens étrangers en Arabie Saoudite), les chrétiens arabes donc seraient 20 millions environ, dont près de la moitié sont des coptes d’Égypte. Ces chrétiens appartiennent à une mosaïque d’Églises, mais c’est un autre thème.
Je parlerai des :
= des chrétiens de Jordanie
= des chrétiens de Syrie en Jordanie
= des chrétiens d’Irak en Jordanie
= de l’avenir des chrétiens dans le monde arabe en général
LES CHRÉTIENS DE JORDANIE
Les chrétiens de Jordanie, dit Antoine Fleifel dans un chapitre intitulé « La Jordanie, Royaume des chrétiens heureux », sont sans nul doute les moins connus parmi les « chrétiens d’Orient ». La raison en est factuelle, puisque les communautés jordaniennes chrétiennes jouissent d’une situation calme et favorable à leur présence sur le sol jordanien. Par ailleurs, les chrétiens jordaniens n’ont guère connu de situations semblables à celles des libanais chrétiens, des syriens chrétiens ou des irakiens chrétiens. Les chrétiens de Jordanie – et je ne dis pas les chrétiens jordaniens, parce que presque la moitié de ces chrétiens est d’origine palestinienne -, constitue, de toute évidence, une composante essentielle et stable de la société jordanienne.
Cette stabilité politique et sociale des chrétiens de Jordanie et la vie commune avec leurs concitoyens musulmans, sont dues en grande partie au discours et aux pratiques tribales. En Jordanie, c’est la famille, petite ou grande (la tribu), qui est le réceptacle des valeurs et la garante de l’ordre social et politique. Les chrétiens – surtout ceux de souche jordanienne – sont aussi susceptibles que certains musulmans d’être réceptifs à ce discours d’identification tribale, car ils partagent avec les musulmans les mêmes structures sociales, et en grande partie, les mêmes valeurs sociales. Valeurs patriarcales où la solidarité entre individus et familles est bâtie sur la base de la parenté.
Un autre motif de la stabilité de l’Église en Jordanie est qu’elle est ancrée dans son histoire et engagée pour les causes arabes, en premier lieu la cause palestinienne. Elle est, avec la chrétienté syrienne et palestinienne, une Église arabe, libre de toute appartenance nostalgique à un passé révolu (cananéen, pharaonique ou phénicien).
Même si la proportion des chrétiens ne dépasse pas le 3% de la population jordanienne, -200.000 à 220.000 sur une population de 6 à 7 millions d’habitants-, il faut dire que la présence effective des chrétiens de Jordanie dépasse de loin cette proportion. Je donne un exemple : 30% de l’économie du pays est entre les mains des chrétiens, ce qui leur permet d’utiliser la belle formule de « majorité qualitative ». La même chose dans le «quota» des chrétiens au Parlement (9%), dans le Sénat (6%) et dans le gouvernement (1 ou 2 ministres chrétiens).
Les chrétiens de Jordanie appartiennent à deux grandes Églises : L’Église grecque orthodoxe (presque 50%) et l’Église catholique (40%), avec quelques milliers de fidèles anglicans et luthériens, maronites, syriens et arméniens. L’exode des chrétiens d’Irak a augmenté considérablement le nombre des chrétiens syriens catholiques et les chaldéens. L’Église catholique – surtout la branche latine qui constitue la majorité des catholiques – excelle surtout par son activité éducative. La qualité élevée des écoles et des collèges catholiques attire les élèves des familles musulmanes. En outre, la création d’une Université catholique en Jordanie voulue par Jean Paul II et dont la première pierre fut bénie par Benoît XVI en 2009, ne fait que renforcer et élargir l’influence éducative de l’Église catholique en Jordanie.
Mais comme rien au monde n’est parfait, il faut souligner quelques points importants que les chrétiens de Jordanie soulèvent depuis longtemps et auxquels il n’y a toujours pas de réponse satisfaisante de la part des autorités politiques.
= Il y a avant tout la psychologie de la minorité numérique. Les chrétiens arabes en général, et ceux de Jordanie en particulier, savent bien qu’ils sont minoritaires. Ils l’acceptent, quoiqu’à contre cœur. Le malaise vient du fait que vivre en minorité pendant des siècles, finit par forger une psychologie fragile qui se traduit par la recherche d’une protection étrangère, le repli identitaire, l’exagération de faits anodins, la peur de descendre sur la place publique… Sans parler d’une autre psychologie, celle de la majorité, qui se permet d’entraver les droits des minorités, toujours selon la loi du plus fort. En Orient, on préfère parler de « petit nombre » à la place de « minorité », et de dire que la présence des chrétiens ne se réduit pas à des pourcentages mais à une qualité de présence, et que les droits et les devoirs ont leur fondement dans la dignité de la personne humaine, abstraction faite de son poids numérique.
= Ensuite, il y a la question de la liberté de conscience qui est différente de la liberté de culte. J’entends par liberté de conscience la liberté de choisir sa propre religion ou de n’en choisir aucune. La liberté de culte est garantie en Jordanie, celle de conscience est permise seulement pour le passage du Christianisme à l’Islam.
= Il y a en troisième lieu les mariages mixtes à sens unique, c’est-à-dire qu’un jeune musulman peut épouser une jeune chrétienne, mais un jeune chrétien ne peut épouser une jeune musulmane à moins qu’il ne passe à l’Islam.
= En quatrième lieu, il y a les manuels scolaires qui ignorent totalement la présence chrétienne en Jordanie jusqu’à l’arrivée de l’Islam au VIIème siècle, sans parler de fausses notions en présentant le Christianisme, toujours d’après la vision de l’Islam.
= Un autre point délicat est celui de l’absence de l’enseignement religieux chrétien dans les écoles publiques, pour les élèves chrétiens. La Jordanie est à ce titre un des rares pays arabes à priver de ce droit les élèves chrétiens. Car il faut savoir que l’enseignement religieux dans les pays arabes est obligatoire dans toutes les écoles.
= Enfin, la Jordanie, pays musulman à 97%, n’échappe pas à la montée grandissante de l’Islam, surtout dans sa forme fanatique. On ne peut cependant pas dire que la Jordanie constitue un foyer de l’Islam dur. Il y a certes, depuis plusieurs décennies, la fameuse Confrérie des Frères musulmans, et qui était puissante dans les années 80 du siècle dernier, surtout lorsque les Frères musulmans ont obtenu le ministère de l’éducation. Ils y ont introduit des pratiques dont on souffre encore aujourd’hui. Mais dernièrement, et surtout après l’échec politique des mouvements islamiques en Égypte et en Tunisie, et surtout à cause de la main forte exercée par le Gouvernement, les Frères musulmans font profil bas. Le Gouvernement a même réussi à les diviser, ce qui les a affaiblis encore plus.
LES CHRÉTIENS DE SYRIE EN JORDANIE
Je ne parle pas des chrétiens de Syrie avant le conflit actuel. Ceux qui connaissent ce pays savent bien combien les chrétiens de Syrie étaient heureux et vivaient dans le respect et dans la paix totale. Mais la guerre a obligé des centaines de milliers de syriens à quitter leur beau pays. Beaucoup sont arrivés en Jordanie. Parmi eux, il y a des chrétiens. C’est de ces derniers dont je veux parler.
Le conflit syrien éclate en 2011, et il dure encore. On parle d’un million et demi de syriens arrivés en Jordanie, certains dans les camps et les autres dans toutes les villes du Royaume. Les réfugiés syriens arrivés en Jordanie sont venus du sud du pays, partie plutôt pauvre et en majorité musulmane. Parmi eux, il y a eu quelque 17.000 chrétiens qui sont passés par la Jordanie. Je dis « passés » parce qu’après quelques mois, ils sont partis presque tous en Allemagne, en Australie, au Canada et dans les États Unis. Il faut mentionner aussi 35.000 arméniens d’Alep que le Consul général d’Arménie a fait transiter par la Jordanie pour les amener en Arménie. Actuellement (janvier 2016), il reste 200 familles syriennes chrétiennes en Jordanie, en attente de papiers pour émigrer.
Pendant leur séjour sur le sol jordanien, la Caritas de Jordanie leur a tout offert: loyers, scolarités des enfants, soins médicaux dans deux hôpitaux catholiques d’Amman, coupons mensuels de nourriture. Le centre pastoral N.D. de la paix a hébergés des dizaines de familles syriennes chrétiennes jusqu’à leur départ.
LES CHRÉTIENS D’IRAK EN JORDANIE
Les chrétiens d’Irak en Jordanie ont toute une autre histoire. Eux aussi vivaient dans la paix la plus totale, mais le « tsunami » politique qui a frappé leur pays les a dispersés dans les quatre coins du monde. Je parle de la Jordanie.
La Jordanie a connu quatre vagues d’irakiens: 1991 après la première guerre du Golfe, en 1996 après la deuxième guerre du Golfe, en 2003 lors de la chute de Bagdad et en 2014 après la chute de Mossoul et de la plaine de Ninive. Les irakiens des deux premières vagues (musulmans et chrétiens) étaient des gens aisés, la plupart est partie ailleurs, d’autres sont restés en Jordanie et continuent à avoir des affaires. Certains ont même pris la nationalité jordanienne. Les irakiens des deux dernières vagues sont plus pauvres, et surtout ceux de 2014 qui sont arrivés après avoir été dépouillés de tout. Les chrétiens irakiens arrivés et enregistrés par les Nations Unies en 2003 sont de 10.000 et ceux de 2014 sont 8.500. Ce qui semble étrange, mais compréhensible par ailleurs, est qu’aucun des irakiens chrétiens n’envisage un retour en Irak, même si le pays retrouve la paix. Ils disent avoir été trahis par leurs voisins musulmans qui auraient volé leurs maisons après leur départ. Ils ne veulent pas rester en Jordanie non plus, où ils n’ont pas le droit de travailler. Ils veulent partir, c’est tout. Plusieurs pays ont fait des promesses, mais ce n’est que dernièrement que le Canada et l’Australie commencent à accepter quelques familles dans leurs territoires respectifs (on parle de 400 personnes déjà parties), avec des garanties qui viennent de l’Église canadienne ou australienne. Mais les espoirs demeurent, car les « interviewes » vont bon train.
Le gouvernement jordanien a ouvert ses frontières aux irakiens chrétiens, mais c’est Caritas Jordanie qui leur assure tout : soins médicaux, scolarité des enfants, loyers, nourriture etc. 18 centres paroissiaux catholiques ont accueilli les frères irakiens pendant un an dans les salles paroissiales avant de leur assurer des appartements plus dignes. En 2014, Caritas Jordanie a travaillé avec un chiffre d’affaires de presque 30 millions de dollars. Ces sommes viennent de plusieurs Caritas dans le monde : Allemagne, États-Unis, Vatican, Danemark, France, Belgique etc. 60% de cette somme va au service des réfugiés syriens (dont 1% seulement sont chrétiens), 20% pour les jordaniens pauvres et 15% pour les irakiens chrétiens.
Quant aux services religieux, il faut savoir que les irakiens chrétiens arrivés en Jordanie appartiennent à l’Eglise syrienne catholique (la majorité) ou chaldéenne avec quelques assyriens. Un prêtre syrien catholique, un prêtre chaldéen et un troisième assyrien suivent, chacun ses fidèles. L’Église catholique, de rite latin et de rite byzantin, a ouvert ses lieux de cultes aux frères irakiens. Il faut avouer que la foi solide des chrétiens irakiens constitue un exemple pour nos fidèles jordaniens.
Jusqu’à présent, les chrétiens irakiens vivent au jour le jour dans l’espoir d’un avenir meilleur, un avenir qui reste entièrement à chiffrer.
Mon dernier point traite d’une question commune à tous les chrétiens du monde arabe: leur avenir.
L’AVENIR DES CHRÉTIENS DANS LE MONDE ARABE EN GÉNÉRAL
La grande question posée aujourd’hui est celle-ci : Quel est l’avenir des chrétiens dans le monde arabe ? Et d’abord, y a-t-il un avenir pour les chrétiens du monde arabe? La réponse dépend du niveau auquel on se place. Je suis un évêque, et il me semble normal de commencer par le niveau de la foi. Je sais que les arguments basés sur la foi résistent au test des laboratoires scientifiques, mais ils ne sont pas moins valides pour autant. Que dit la foi d’un chrétien arabe ? Elle dit qu’il y a toujours eu une Église et des chrétiens dans le monde arabe, et qu’il y a actuellement une Église (des Églises) et des chrétiens dans le monde arabe, et qu’il y aura toujours une Église et des chrétiens dans le monde arabe. Dieu ne permettra jamais que son pays natal (la Terre sainte) et son espace géographique (le Moyen Orient) deviennent des musées. Les chrétiens arabes ont toujours entouré les lieux saints de leur présence et de leurs prières, et il est impensable, toujours aux yeux de la foi, que les pierres vivantes disparaissent pour laisser la place aux seules pierres mortes. Point, à la ligne.
Ceci dit, je sais il n’y a pas que le niveau de la foi. Le niveau de la géopolitique et de la socio-politique est différent et peut être moins rassurant. Car les chrétiens du monde arabe ont un certain nombre de défis à relever pour continuer d’exister.
= Un premier défi est le contexte d’instabilité sociale et politique dans lequel vivent les chrétiens du monde arabe : Conflits, violences, occupation, avenir politique incertain, émigration forcée, occupation politique etc… Conséquence : Un manque d’énergie personnelle et communautaire pour faire face à la vie dure. Et si on considère la tentation de l’étranger chère au P. Jean Corbon : « les chrétiens arabes, disait-il, ont toujours un œil à l’étranger », on comprend l’hémorragie de l’émigration des chrétiens arabes dans plusieurs pays. Je donne un seul chiffre. Le pourcentage des palestiniens chrétiens en Palestine est de 1.2% alors que le pourcentage des chrétiens palestiniens dans la diaspora est le 10%.
= Un autre défi est de nature religieuse. Les pays arabes sont des pays à majorité musulmane. Certes, on ne peut pas parler de persécution religieuse proprement dite – à part quelques cas bien définis tout récemment en Irak – mais on ne peut pas dire non plus que l’appartenance religieuse n’a pas d’effets sur la vie de tous les jours, aux dépens des chrétiens bien sûr. Dans les pays arabes actuellement, nous sommes encore loin de parler de la dignité de la personne humaine, abstraction faite de son appartenance religieuse.
= Un troisième défi est interne aux chrétiens et il a deux aspects. Le premier est commun à tous les chrétiens et il regarde la foi, ou plutôt l’appartenance religieuse. La foi des chrétiens arabes est une foi sociale, communautaire, héritée, une foi qui n’est pas toujours assumée et vécue à partir d’un choix personnel et convaincu. Plusieurs Églises arabes ont fait des synodes et ont travaillé pendant des années pour aider les fidèles à passer d’une foi héritée à une foi personnelle. Les semences sont jetées… la récolte viendra un jour. Inchallah! L’autre aspect du défi interne aux chrétiens du monde arabe, et qui met leur avenir à risque, est leur division. Ceux qui connaissent nos pays savent que nos Églises forment une véritable mosaïque. Il y a certes du positif en cela: une richesse culturelle, liturgique, spirituelle et dogmatique, mais la désunion des Églises est un handicap missionnaire et elle affaiblit leur témoignage et surtout leur charge prophétique. Nous connaissons la belle expression du Pape Paul VI: « Le monde actuel accepte les témoins plus que les maîtres, et s’il accepte les maîtres, c’est parce qu’ils sont d’abord des témoins».
À la question posée au début de ce paragraphe, s’ajoute une autre : Comment garantir la continuité de la présence des chrétiens dans les pays arabes ? Le principe est le suivant: Les chrétiens arabes doivent rester chez eux, au Moyen Orient et dans le monde arabe, parce que le monde arabe est leur espace vital, le lieu où Dieu les a mis pour vivre leur foi et être ses témoins, le lieu dans lequel ils vivent depuis des siècles. Comment ? Par une insertion claire, franche et totale dans le monde arabe. C’est dans cette perspective qu’il faut concevoir la présence des chrétiens dans le monde arabe. Une perspective à prendre en considération par tous ceux qui se préoccupent de la situation et de l’avenir de ces chrétiens. La question est : comment ? Comment aider les chrétiens du monde arabe à faire la volonté de Dieu et à témoigner de leur foi dans le Christ ressuscité là où le Seigneur les a mis, par un dessin de sa Providence ? Les chrétiens du monde arabe vivent avec les musulmans depuis plus quinze siècles. Tout en conservant leur foi chrétienne, ils partagent avec les arabes musulmans la même langue, la même histoire, la même culture, le même mode de vie. Il faut savoir rendre hommage à ces communautés chrétiennes qui ont su au cours des âges affronter cette montée de l’Islam, avec réalisme et créativité. Elles ont su dépasser ce seuil historique en s’insérant petit à petit dans ce nouveau monde qui venait de naître, collaborant même au développement de sa culture dans tous les domaines. Évidemment, il serait naïf de penser que ces quinze siècles de coexistence se soient passés sans heurts, sans des hauts et des bas, mais globalement, le résultat n’est pas aussi négatif qu’on peut l’imaginer. Il s’ensuit donc que la présence des chrétiens arabes au sein du monde musulman – comme croix certes mais aussi comme gloire – est inscrite dans les profondeurs de l’être personnel et ecclésial des chrétiens arabes. En fin de compte, et comme dans le monde de la foi il n’y a pas de hasard, il faut voir dans la présence de chrétiens arabes au sein du monde arabo-musulman une volonté de Dieu qu’il faut accueillir dans la foi pour la transformer en vocation et en mission. Même si cette vocation/mission doit être portée dans l’humilité, la pauvreté, la sérénité et la plénitude de la joie évangélique, il faut avouer que, concrètement, certains de nos fidèles subissent cette vocation plus qu’ils ne l’assument. C’est une réaction instinctive, faite à partir de leurs peurs, de leurs difficultés, de leurs complexes, de leurs appréhensions en tant que groupe social qui cherche sa survie plutôt que sa mission/vocation. Il faut comprendre ce processus historique et psychologique, mais il faut en même temps briser ce mécanisme de peur par la force de la foi, car si l’historique, le psychologique et le sociologique entravent et enchaînent, la foi, elle, libère.
CONCLUSION
Que dire en conclusion? L’avenir des chrétiens arabes est en gestation. Ils étaient plutôt tranquilles avant les événements du printemps arabe, ils jouissaient d’une situation favorable et relativement stable. Démographiquement minoritaires, les pouvoirs politiques représentaient pour eux une garantie majeure qui les protégeait et leur permettait d’obtenir une surreprésentation politique et une reconnaissance qui est source d’épanouissement religieux, social et économique. Depuis quelques années, les sociétés arabes connaissent des soubresauts auxquels personne ne s’attendait, et qui ont irréversiblement changé la société. Tout le monde en a été affecté, y compris les chrétiens. Encore une fois, il faut attendre pour voir le nouveau visage que présentera le Moyen Orient après tous ces bouleversements. Quoi qu’il en soit, il appartient aux chrétiens arabes de relever eux-mêmes le défi de leur présence, et de ne pas compter d’une manière exclusive sur les circonstances politiques, qu’elles leur soient favorables ou non. Pour cela, ils devront toujours travailler au dialogue interreligieux, à l’ouverture à l’autre, à la convivialité et à l’engagement indéfectible dans le sol arabe.
Je vous remercie.
Paris, 3 février 2016
+ Maroun Lahham
Source : Patriarcat Latin de Jérusalem
S. Exc. Monseigneur Maroun Lahham
Né à Irbed (Jordanie), le 20 Juillet 1948. Ordonné prêtre le 24 Juin 1972 à Jérusalem par S.B. Mgr Jacques Beltritti. Nommé évêque (puis archevêque en 2010) de Tunis le 8 Septembre 2005, il est ordonné évêque à Beit Jala (Palestine) le 2 octobre par S.B. Mgr Michel Sabbah. Le 19 Janvier 2012 il est nommé par le Pape Benoît XVI évêque auxiliaire et vicaire patriarcal pour la Jordanie, et titulaire de Madaba.