Tribune décembre 2015 : Un an vers Jérusalem : « En Terre sainte, nous avons rencontré le Christ dans son humanité »

Cap&SimonPalestine-235Avec leur quatre enfants, ils ont décidé de parcourir les 10 000 km qui les séparaient de la Terre sainte à vélo, à pied, en voiture, en bus, en bateau… « Un an vers Jérusalem » raconte l’histoire de ce pèlerinage hors du commun. Une aventure familiale et un témoignage de foi essentiel, porté par une très belle plume. Rencontre avec l’auteure, Capucine Vassel.

TTS : Quel a été le déclic de votre pèlerinage familial et pourquoi vers Jérusalem ?

capture_decran_2015-06-12_a_17_51_09Capucine Vassel : Le déclic est en fait venu en plusieurs étapes : Une vie d’expatriés aisés ; des enfants qui perdaient le sens des réalités du monde en évoluant dans un milieu très consumériste et relativiste, et à qui nous n’avions pas le temps de transmettre ce qui nous semblait essentiel ; et enfin un anniversaire : mon mari fêtait presque ses 40 ans, et la bouteille de champagne ouverte pour l’occasion nous a plongés dans des abîmes de réflexion qui ont commencé par : ‘Tu es vieux maintenant’ (quelle finesse), se sont poursuivis avec ‘Que manque-t-il à ta vie pour qu’elle soit réussie, avant que tu ne sois trop grabataire pour le réaliser ?’ (quelle diplomatie) et ont abouti à cette idée de pèlerinage. Nous voulions transmettre à nos enfants ce que nous pensions être la recette du bonheur, qui passait par une certaine pauvreté matérielle, le goût de l’effort et du dépassement de soi, la découverte du monde pour élargir leurs esprits et leurs horizons, et un but ultime qui est la recherche de Dieu.

Du coup, le trajet France – Rome – Jérusalem tombait un peu sous le sens.

Comment gère-t-on au quotidien 10.000 kilomètres de pèlerinage avec quatre enfants ? Quel souvenir gardent-ils de cette expérience ?

Il faut être assez organisé, sinon on n’arrive à rien. Le rythme était un peu verrouillé : lever tôt vers 6h30, départ vers 8h30 et avancée toute la matinée. A midi, installation du campement, douches, lessives, repas, et école l’après-midi avant de visiter éventuellement le lieu où nous étions. Nous sommes partis aussi avec beaucoup de matériel : un lit bébé, de quoi assurer toujours un ou deux repas, une bonne pharmacie… beaucoup trop en fait.

« Tout le monde veut recommencer ! »

Mais cela ne nous a pas empêchés de garder, tous ou presque (notre petit numéro 4 a tout oublié) un souvenir fantastique de cette année. Nous avons évoqué la possibilité de pouvoir un jour repartir avec nos deux derniers : le Quatrième qui ne se souvient de rien, et la petite Cinquième arrivée depuis le retour et qui, elle, n’a pas eu sa dose ! Lorsque nous en avons parlé, les grands se sont insurgés tout de suite : ‘N’imaginez même pas que vous repartirez sans nous !’ Nous évoquons de temps en temps nos souvenirs, en famille, et le verdict est toujours le même, empreint de nostalgie : C’était quand même super chouette, et tout le monde aimerait recommencer, malgré les inévitables moments difficiles.

Votre démarche a-t-elle facilité les rencontres sur le chemin, ou bien a-t-elle au contraire suscité de la méfiance ?

Notre démarche de pèlerins, qui consistait à demander un logis ou un coin de jardin pour planter nos tentes, a laissé beaucoup de gens incrédules ou étonnés, surtout dans notre Europe relativement déchristianisée. Mais lorsqu’elle suscitait de l’intérêt, les gens ne tarissaient plus de questions et venaient passer du temps avec nous. Au Proche-Orient et en Turquie, cela paraissait visiblement plus naturel, il y avait moins d’interrogations.

« Nos hôtes d’un soir nous disaient, la larme à l’œil : merci d’être venus chez nous, continuez ! »

Je n’aime pas le dire parce que le verdict est un peu dur pour la France, mais plus nous allions vers l’Est, plus l’accueil a été facile. A cela, il y a je crois plusieurs raisons :

– Nous n’arrivions pas à nous rendre dépendants des personnes chez qui nous venions demander un logis, en particulier au début du voyage. C’est une démarche difficile ! Nous cherchions trop à nous ‘vendre’, sourires bright et explications trop longues. Il a fallu attendre que nous ne parlions plus la langue (dès le passage en Italie en fait) pour commencer à être ‘efficaces’, c’est-à-dire à trouver plus rapidement une porte ouverte pour que nous puissions installer notre campement.

– Ensuite, nous n’étions, au départ en tout cas, pas crédibles du tout ! Au mois d’août, en France, alors que nous sommes Français, les gens ne nous croyaient absolument pas. Ils se demandaient ce que nous voulions leur cacher, ils nous pensaient malhonnêtes.

– Et enfin, nous avons remarqué que plus nous allions vers l’Est, plus les populations manquaient de moyens… et plus elles étaient accueillantes. Autrement dit, en France en particulier, plus ils avaient l’air aisés (grands jardins, grandes maisons…), plus les gens avaient peur de nous ouvrir la porte. Et pourtant, c’est aussi en France que nous avons eu, le plus souvent, des remerciements au moment où nous repartions : nos hôtes d’un soir venaient nous dire au revoir, la larme à l’œil parfois, et nous disaient : ‘Merci. Merci d’être venus chez nous. Continuez, c’est bien ce que vous faites.’

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Quel souvenir gardez-vous de vos premiers pas en Terre Sainte ?

Une émotion telle qu’on n’arrive pas à réaliser exactement où l’on est, en particulier quand, comme nous, on y arrive de nuit, après 5 mois de route et une dose non négligeable de fatigue. C’est très énervant ! Il nous a fallu un moment avant de prendre vraiment conscience du fait que nous avions atteint notre but.

« Abasourdis, soulagés, émerveillés, emplis de gratitude… »

Par ailleurs, Jérusalem est une ville tellement photographiée qu’on a toujours l’impression de la connaître un peu. Devant les remparts, sur les pentes du Mont des Oliviers, où les amis qui nous accueillaient nous ont servi du houmous et de la tisane brûlante, nous étions abasourdis et en même temps soulagés, émerveillés, emplis de gratitude, c’était fantastique. Les enfants ont été particulièrement marqués par cette arrivée, et je crois que nous en gardons tous une image précise.

Quelles rencontres y avez-vous faites ?

Des rencontres variées et très enrichissantes, allant de ces musiciens Juifs orthodoxes qui nous ont joué du Klezmer au fond d’un garage reconverti en bibliothèque Yiddish, en passant par Aladdin, un grand palestinien de Naplouze à qui nous demandions notre chemin et qui s’est occupé de nous comme si nous étions sa propre famille, Lora l’arabe chrétienne israélienne qui nous a reçus à Haifa chez elle, et encore les moniales du monastère de Bet Gimal, Najla la très brillante intellectuelle navigant entre Liban et Israël, ou le Frère Paul du couvent de Latroun, ou encore Ayala, l’israélienne productrice d’huile d’olive près de Nazareth, qui employait des ouvriers palestiniens pour répandre la paix.

Nous y avons aussi rencontré le Christ dans son humanité, à travers sa terre et ses lieux de vie ; c’était bouleversant.

On a envie de prendre place dans cette beauté et cette variété, cette terre de contrastes incroyables, c’est tellement riche.

Vous y avez fêté Noël 2013. Comment votre famille l’a-t-elle vécu ?

Le soir de Noël, nous avons même marché de Jérusalem vers Bethléem. Et je jure que c’est vrai : il n’y avait ce soir-là qu’une seule étoile au moment où nous sommes partis, et elle indiquait la bonne direction. Nous nous sommes sentis comme des rois mages arrivant de l’autre côté (mais nettement moins bien habillés).

« Nous n’avions rien à nous offrir de matériel, mais nous étions vraiment simplement heureux d’être là »

Ce Noël-là a sans doute été le plus authentique de tous : nous n’avions rien à nous offrir de matériel, mais nous étions vraiment simplement heureux d’être là, ensemble, dans la simplicité. A la fois parfaitement naturel et hors du monde. C’était un cadeau extraordinaire en soi, dont nous espérons que les enfants sauront garder le souvenir.

Vous expliquez dans votre livre que toute cette aventure a débuté par ce questionnement : « qu’est-ce qui fait une vie réussie ». Quelle réponse apporteriez-vous aujourd’hui ?

Ah. Vaste question ! Je me sens tellement inapte à donner mon avis…

Je ne pourrai répondre que très partiellement, en tirant des leçons de ce que nous avons eu l’impression de toucher du doigt.

« Une vie réussie est une vie où l’on s’est tenu droit, et où l’on a cherché à s’élever et élever l’humanité. »

D’abord nous, le couple de parents, avons ‘réussi’ quelque chose en fonctionnant en équipe, comme nous nous y sommes engagés le jour de notre mariage, et en nous occupant de nos enfants, en leur montrant un chemin dans lequel nous pensons qu’ils trouveront la joie et la paix : simplicité matérielle (nous n’imaginions pas que ce serait si essentiel à notre bonheur durant ce voyage), effort physique commun, dépassement de soi (que ce soit pour supporter les autres ou avancer sous la pluie !), constance et persévérance, confiance en Dieu. Nous aurons vraiment transformé l’essai s’ils gardent la leçon, ce qui n’est pas encore acquis du tout !

D’un point de vue plus large, j’aurais tendance à penser qu’une vie réussie est une vie où l’on s’est tenu droit, et où l’on a cherché à s’élever et élever l’humanité, non pas d’un point de vue humain par les richesses et le succès, mais d’un point de vue plus spirituel : en cherchant la grandeur de l’âme et la liberté, qui n’est pas le fait de faire ce qu’on veut quand on veut, mais plutôt celui de se tenir à ses engagements, de ne pas fléchir face aux difficultés. Avoir une volonté qui fait fi des obstacles. Une vie réussie serait une vie où l’on a aimé beaucoup, de cet amour exigeant et constructif qui réclame la vérité, l’honnêteté et la persévérance. En tout cas c’est ce vers quoi nous voudrions tendre, quitte à repartir sur les routes pour mieux retrouver cet idéal qui tend à se diluer dans le quotidien de nos vies surchargées…

« On vit véritablement lorsqu’on parvient à rester ouvert et vulnérable. »

Une dernière chose, autre fruit de notre expérience : on vit véritablement lorsqu’on parvient à rester ouvert et vulnérable, comme une plaie béante. Le mal nous atteint plus, mais le bien aussi. Je ne sais pas si c’est cela qui fait ‘une vie réussie, mais au moins, on vit. Pleinement.

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Un an vers Jérusalemde Capucine Vassel

Editions Parole et Silence,19€.