La commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale française a autorisé à l’unanimité le 18 mars 2015 la publication d’un rapport d’information sur le Proche et le Moyen-Orient, dont la quatrième et dernière partie est consacrée à « la question israélo-palestinienne : un conflit lancinant ».
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 mars 2015
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 11 décembre 2013 (1)
sur le Proche et Moyen-Orient
Président
M. Jean-Luc REITZER
Rapporteure
Mme Odile SAUGUES
Députés
(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.
La mission d’information sur le Proche et Moyen-Orient est composée de : M. Jean-Luc Reitzer, président de la mission ; Mme Odile Saugues, rapporteure de la mission ; M. Avi Assouly(jusqu’à la clôture de son mandat, le 7 mai 2014) ; M. Jean-Claude Buisine (jusqu’à son départ de la commission, le 28 octobre 2014) ; M. Jean–Louis Destans ; M. Jean Glavany (jusqu’au 11 février 2014) ; M. Serge Janquin (à compter du 10 septembre 2014) ; M. Jean–Philippe Mallé (à compter du 7 mai 2014, jusqu’à la clôture de son mandat le 10 septembre 2014) ; M. Jacques Myard ; M. François Rochebloine ; M. Michel Vauzelle (à compter du 11 février 2014).
IV. LA QUESTION ISRAÉLO-PALESTINIENNE : UN CONFLIT LANCINANT
L’urgence d’un règlement négocié du conflit n’a jamais été aussi grande, alors que les positions des parties prenantes sont plus que jamais antagonistes et que la viabilité de la solution des deux États est chaque jour plus menacée.
L’échec de la reprise des pourparlers, suivi de la crise de Gaza, cet été, ont marqué la fin du cycle de négociations ouvert par les accords d’Oslo au début des années 1990. D’aucuns évoquent même la fin d’un cycle historique. Le succès d’une énième tentative de médiation américaine selon le format bilatéral étant hypothétique, seule une initiative internationale ferme et concertée, aux objectifs et au calendrier clairement identifiés, est à même de mettre fin à un conflit dont, faut-il le rappeler, les premières victimes sont les peuples israélien et palestinien, et dont le non-règlement est d’autant plus coupable que les paramètres en sont depuis longtemps connus. La France, avec l’Union européenne, doit, aux côtés des Américains et des États arabes, y jouer un rôle à la mesure de ses intérêts stratégiques dans la région.
Si nous voulons que 2015 ne soit pas, à nouveau, une année perdue pour la paix, il faut impérativement que la reprise des négociations s’accompagne d’un changement de méthode : il est illusoire et dangereux de compter sur la seule volonté des parties au conflit, tant la défiance est grande dans les deux camps, tant l’absence d’horizon politique pour les deux peuples renforce dangereusement les extrêmes, tant une part croissante de la population porte un regard sceptique sur le processus de paix, paix à laquelle pourtant elle aspire.
A. 2014 OU LA MORT D’OSLO : L’IMPASSE DU PROCESSUS DE PAIX EST TOTALE, LE STATU QUO, INTENABLE ET DANGEREUX
1. Un processus qui n’a plus de paix que le nom, alors que la solution des deux États s’éloigne plus que jamais
Le rappel des évènements de l’année 2014 offre un condensé des obstacles à la paix, et symbolise l’impasse du « processus » censé mettre fin au conflit depuis les accords d’Oslo (261) : reprise et échec des pourparlers, nouveau conflit avec Gaza, montée des tensions en Cisjordanie et à Jérusalem, poursuite de la colonisation côté israélien, stratégie alternative onusienne et divisions internes côté palestinien.
Or, si statu quo il y a dans les négociations, ce n’est pas le cas sur le terrain, et le temps joue contre la seule solution viable à la question israélo-palestinienne, d’ailleurs principal acquis d’Oslo : la reconnaissance mutuelle de deux États souverains, vivant côte à côte dans la paix et la sécurité. Si nous voulons sauver cette option, qui n’a pas d’alternative, il ne faudra donc pas seulement « tenter » de revivifier un processus moribond, mais se donner les moyens d’aboutir à un accord pérenne.
a. Le terrible bilan de l’année 2014 : l’ultime échec de la tentative américaine de reprise des pourparlers et la reprise du cycle de la violence
● L’espoir, certes mesuré, suscité par la reprise des pourparlers de paix, a été rapidement éclipsé par un nouveau conflit, particulièrement meurtrier, à Gaza
Après trois ans d’interruption, le Secrétaire d’État américain, John Kerry, parvient à relancer le dialogue israélo-palestinien le 19 juillet 2013. Le 30 juillet 2013, il justifie la reprise des pourparlers aux côtés de la ministre de la justice israélienne, Tzipi Livni, et du négociateur en chef palestinien, Saëb Erakat, en déclarant qu’« une solution viable à deux États est la seule voie pour résoudre ce conflit. Il ne reste pas beaucoup de temps pour arriver et il n’y a pas d’alternative ».
Un calendrier de neuf mois a été établi pour parvenir à un accord. Aucun compromis formel n’a été trouvé quant aux termes de référence de la négociation, qui reposera donc sur la bonne volonté des parties et l’engagement personnel du Secrétaire d’État, qui multiplie les visites sur place. La reprise des négociations repose cependant sur l’engagement tacite des Israéliens à libérer graduellement 104 prisonniers palestiniens, condamnés en majorité pour des actes de terrorisme avant les accords d’Oslo, contre un engagement palestinien à renoncer à leurs initiatives onusiennes.
La discussion, qui aborde les questions relatives à un accord final que sont les frontières, les réfugiés, Jérusalem, la sécurité et l’eau, bute notamment sur la volonté des autorités israéliennes d’une reconnaissance du caractère juif de l’État d’Israël, que la partie palestinienne refuse, et le statut de Jérusalem, dont Israël récuse la partition. Le refus d’Israël, annoncé fin mars 2014, de procéder à la libération de la dernière vague de prisonniers sera une des raisons contribuant à faire échouer les pourparlers. (262)
Le 23 avril 2014, le Hamas et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) signent un accord de réconciliation en vue de créer un gouvernement d’union nationale. L’initiative, soutenue par les États-Unis et l’Union européenne, provoque la colère du Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, qui déclare qu’« au lieu de choisir la paix avec Israël, Abou Mazen opte pour la paix avec le Hamas ».
L’enlèvement, aux environs de la colonie de Gush Etzion au sud de Jérusalem, de trois jeunes Israéliens, le 12 juin 2014, marque l’avènement d’une nouvelle crise. Les autorités israéliennes réagissent rapidement : l’opération « Gardien de nos frères » est lancée pour tenter de les retrouver. En 48 heures, près de 400 militants du Hamas sont arrêtés en Cisjordanie. Le mouvement islamiste riposte par des tirs de roquette sur Israël, qui entreprend des raids aériens sur Gaza. Le Président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, condamne l’enlèvement, six jours après les faits. Selon lui, « celui qui a enlevé les trois jeunes Israéliens cherche à nous détruire ».
Les adolescents sont retrouvés morts le 30 juin, dans le sud de la Cisjordanie, près de la ville d’Hébron, provoquant un immense choc au sein de la société israélienne. Le pays est divisé sur l’ampleur de la riposte : certains plaident pour la retenue, alors qu’une partie de la droite appelle à la destruction du Hamas. Le Premier ministre israélien promet de « faire payer le Hamas », qui nie être impliqué dans cet acte, mais a salué l’opération.
Quelques jours plus tard, le 1er juillet, un jeune Palestinien est brûlé vif dans une forêt située près de Jérusalem par des Israéliens, révoltant à son tour la presse palestinienne et accélérant l’escalade de la violence. Des émeutes ont lieu à Jérusalem-Est lors des funérailles, qui opposent des centaines de jeunes Palestiniens aux policiers israéliens. Ces heurts gagnent des localités arabes du nord d’Israël. De nombreux manifestants sont arrêtés.
Les tensions s’intensifient et le Hamas envoie plus d’une centaine de roquettes sur Israël le 7 juillet. Le lendemain, Israël engage une offensive aérienne, qu’elle nomme « Bordure protectrice », sur la bande de Gaza. Le pays rappelle 40 000 réservistes et s’engage dans une lutte aérienne, visant principalement les infrastructures militaires et les responsables du Hamas. Dans le même temps, le Hamas est parvenu au lancement de roquettes sur les principales villes israéliennes, dont Tel Aviv et Jérusalem.
Une trêve proposée par l’Égypte est accueillie favorablement par Mahmoud Abbas, invitant dès le 14 juillet au soir les parties à s’y conformer « pour épargner le sang de notre peuple et nos intérêts nationaux supérieurs ». Le Hamas rejette la proposition, suivi par le Jihad islamique, et les tirs de roquettes, qui se sont intensifiés tout au long de la journée et ont visé l’ensemble du territoire israélien, se poursuivent. Dans ce contexte, les bombardements israéliens reprennent, et le 17 juillet, l’offensive terrestre est lancée sur Gaza. Se succéderont ensuite des trêves humanitaires discontinues et entrecoupées d’épisodes de reprises des tirs de roquettes et des bombardements.
Le Premier ministre israélien rejette la responsabilité des morts civiles sur le Hamas, condamnant l’utilisation de « boucliers humains », et assure qu’il continuera de « défendre nos citoyens et de les protéger contre les tirs de roquettes et de démanteler le vaste réseau terroriste de tunnels destiné à pénétrer en territoire israélien ». Khaled Mechaal, chef du bureau politique du Hamas, déclare de son côté : « nous voulons un arrêt de l’agression dès demain, voire aujourd’hui ou en ce moment même. Mais une levée du blocus avec des garanties, et non pas une promesse pour des négociations ultérieures ». Il souhaite « une véritable trêve s’appuyant sur un véritable programme d’assistance pour le peuple de Gaza ».
Le 26 août, un accord en vue d’un cessez-le-feu à Gaza est accepté par les parties, sans limitation de durée. L’Égypte s’engage à en superviser les mécanismes de mise en œuvre. Il prévoit les stipulations suivantes :
– cessation de toutes les hostilités et retour à l’accord de cessez-le-feu établi le 21 novembre 2012 ;
– ouverture de tous les points de passage entre Gaza et Israël et respect de la liberté de circulation des personnes et des biens entre la Cisjordanie et la bande de Gaza ; fin des restrictions sur le mouvement des résidents, sur l’administration d’activités financières et économiques à Gaza et sur l’entrée de l’aide humanitaire ;
– reconstruction de Gaza : réparation des infrastructures, autorisation de l’entrée de matériaux de reconstruction ; extension de la zone de pêche à 6 miles ;
– ouverture de nouvelles négociations sous l’égide de l’Égypte et dont la durée ne devra pas excéder un mois après l’entrée en vigueur du cessez-le-feu. Elles porteront sur les sujets de désaccord demeurant entre les parties (port, aéroport, échange des corps) et tout autre sujet que les parties jugeront utile d’aborder.
Au lendemain du cessez-le-feu, chacun revendique la victoire, mais les deux camps sont affaiblis.
Ainsi le 27 août, Benyamin Netanyahou a déclaré : « le Hamas a été frappé durement et n’a obtenu aucune de ses demandes pour signer le cessez-le-feu. Le Hamas exigeait pour signer un cessez-le-feu un port et un aéroport à Gaza, la libération de prisonniers palestiniens, une médiation qatarie puis turque, le paiement des salaires des fonctionnaires, d’autres demandes encore mais il n’a rien obtenu. Nous avons accepté d’aider à la reconstruction du territoire pour des raisons humanitaires mais uniquement sous notre contrôle. »
Cependant, selon un sondage publié par le quotidien Haaretz fin août 2014, réalisé auprès de 464 personnes représentatives de la population israélienne, à la question : « à la suite du cessez-le-feu auquel ont abouti Israël et le Hamas, comment qualifieriez-vous les résultats des combats ?», 54 % des personnes interrogées ont répondu qu’aucune des deux parties ne l’avait emporté; seuls 26 % estimaient qu’Israël avait gagné la bataille, contre 16 % pour le Hamas, le reste étant sans opinion. L’impact de la crise sur l’économie israélienne est aussi largement commenté (263).
Un haut responsable des renseignements militaires israéliens a déclaré, lors d’une rencontre avec la presse à Tel Aviv en septembre 2014, qu’Israël avait sous-estimé la ténacité des combattants palestiniens et n’avait pas prévu que l’offensive lancée dans la bande de Gaza se prolongerait pendant près de 50 jours. Il faut noter que quatre jours seulement après le début de l’opération terrestre à Gaza, l’armée israélienne a subi des pertes plus importantes (13 morts) que pendant chacune des opérations conduites depuis la guerre au Liban de l’été 2006 (« Plomb durci » et « Pilier de Défense »).
De son côté, le Hamas, qui a infligé à l’armée israélienne ses plus lourdes pertes depuis 2006, revendique lui aussi la victoire, assurant avoir défait « la légende de l’armée israélienne qui se dit invincible » et obtenu l’allègement du blocus, principale revendication des Palestiniens. Malgré l’ampleur des pertes humaines et des destructions matérielles, les résultats d’un sondage mené fin août (264) montrent que 79 % des Palestiniens interrogés jugent que le Hamas a remporté la guerre contre Israël. 70 % des sondés en Cisjordanie ont répondu qu’ils soutiendraient la transposition du modèle de résistance armée du Hamas en Cisjordanie. L’Autorité palestinienne n’obtient que 36 % d’opinions positives, contre 88 % pour le Hamas. Si des élections législatives étaient organisées aujourd’hui, 46 % des votants voteraient pour le Hamas, 31 % pour le Fatah et 7 % pour d’autres factions.
● La troisième crise en cinq ans laisse la bande de Gaza dans un état humanitaire et sécuritaire précaire
Après 51 jours d’hostilités, côté israélien, 66 soldats et six civils ont trouvé la mort. Côté palestinien, le nombre de victimes s’élève à près de 2 200 morts, dont 1563 civils et 538 enfants. S’y ajoutent, selon l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient (UNRWA), plus d’un demi-million de déplacés durant la crise, dont près de 100 000 n’auraient à ce jour pas encore pu regagner leur domicile.
La bande de Gaza, isolée (265), se trouve dans une situation humanitaire et sécuritaire précaire. 22 000 habitations ont été détruites ou rendues complètement inhabitables (sur les 113 500 endommagées) ; 15 km de canalisations, 15 hôpitaux et 122 écoles ont été endommagés ; la centrale électrique de Gaza a été bombardée et plus de 5 000 entreprises et commerces ont été touchés.
De nombreuses personnes campent toujours dans les ruines de leur maison, dans des abris de fortune ou dans les écoles de l’UNRWA. L’approvisionnement en électricité demeure limité, malgré la remise en état de la centrale thermique de Gaza (cycles de 12 heures d’électricité par jour, 6 heures début janvier). Le système de santé est lui aussi particulièrement atteint selon le Comité international de la Croix Rouge.
Une conférence de donateurs internationaux, coprésidée par la France, a été organisée le 12 octobre 2014 au Caire, afin de financer la reconstruction de la bande de Gaza, la troisième en cinq ans.
Une aide internationale de 5,4 milliards de dollars y a été annoncée (266), dont la moitié en faveur de Gaza – sur les 4,1 milliards de dollars de coûts directs et pertes économiques estimés dans le plan de reconstruction palestinien (267). Un mécanisme des Nations unies (mécanisme « Serry ») visant à faciliter l’importation de matériaux dans Gaza, en tant que première étape vers une levée plus générale du blocus, y a en outre été approuvé.
Cependant, des promesses de dons faites au Caire, quasiment aucune n’a été effectivement versée. Les besoins pour le relogement sont estimés par l’UNRWA à 720 millions de dollars, mais seuls 135 millions ont été formellement annoncés, dont 100 effectivement reçus (notamment 55 millions de l’Arabie Saoudite et 20 millions de l’Allemagne). L’UNRWA a annoncé le 27 janvier 2015 qu’elle cessait, faute de fonds, son aide de transition, en dénonçant le non-respect des promesses internationales tenues au Caire.
L’ONG Oxfam estime quant à elle les besoins à 89 000 logements et 226 nouvelles écoles au minimum. Elle juge en outre que le volume de matériaux de construction entré à Gaza dans les trois mois suivant le cessez-le-feu correspond à moins d’un tiers de ce qui rentrait dans les trois mois précédant le conflit (et à seulement 4 % de ce qui entrait à Gaza avant le blocus).
Le mécanisme « Serry », censé faciliter l’entrée des matériaux de construction à Gaza, est désormais opérationnel, mais mis en œuvre de manière extrêmement lente. Les mesures prises par Israël pour alléger les accès et mouvements (notamment la reprise des exportations vers la Cisjordanie) ne sont pas suffisantes pour accélérer la reconstruction.
Quant aux négociations en vue d’un cessez-le-feu durable, qui devaient reprendre dès le 27 octobre 2014, sous l’égide de l’Égypte, elles ont été reportées sine die.
● La Cisjordanie et Jérusalem ont été le théâtre de violences d’une intensité et d’une nature inédites, qui, bien que semblant s’être apaisées, pourraient réapparaître
Jérusalem et la Cisjordanie ont été le théâtre d’affrontements d’une intensité inédite depuis des années. L’enlèvement à Jérusalem-Est et le meurtre du jeune Palestinien, présenté comme un acte de vengeance après l’enlèvement en juin et le meurtre de trois jeunes Israéliens en Cisjordanie, a marqué le début d’un cycle de violences ininterrompues, qui ont touché tous les quartiers de Jérusalem-Est (268). Le 4 août, l’attaque d’un bus par un Palestinien a causé la mort d’un Israélien. Quatre personnes ont été tuées dans l’attaque d’une synagogue de Har Nof, un quartier de Jérusalem-Ouest. Ziad Abou Ein, responsable palestinien chargé de la colonisation en Cisjordanie, ancien vice-ministre chargé des prisonniers, est mort le 10 décembre après des heurts avec des soldats israéliens au cours d’une manifestation pacifique dans un village palestinien. Certains ont même qualifié la situation d’ « Intifada rampante », la police israélienne n’exerçant plus de fait de contrôle total sur certains quartiers de Jérusalem-Est et l’Autorité palestinienne n’en ayant pas non plus les moyens.
Il faut aussi s’inquiéter de la forte montée des tensions sur l’Esplanade des Mosquées. On sait en effet que toute remise en cause du statut des Lieux saints musulmans à Jérusalem pourrait entraîner de graves troubles et une recrudescence des violences. Rien ne serait pire qu’une transformation de la question israélo-palestinienne en conflit religieux.
A partir de la fin septembre 2014, les restrictions d’accès à l’Esplanade des Mosquées pour les musulmans (interdiction de tranches horaires et exclusion des hommes de moins de cinquante ans), et la multiplication de visites de responsables israéliens proches des mouvements messianiques ont entraîné des affrontements violents. La visite du ministre israélien de la sécurité publique et du ministre du logement le 23 septembre, doublée de la visite de 300 colons sur l’Esplanade, ont encore aggravé les tensions.
Mi-octobre, l’annonce de la fermeture de l’Esplanade pendant une semaine, et la visite de Moshe Feiglin, vice-président de la Knesset, ont provoqué de nouveaux affrontements. Khaled Mechaal avait auparavant exhorté les Palestiniens à voler au secours d’Al-Aqsa le 16 octobre. En écho, Mahmoud Abbas a dénoncé la transformation d’un conflit politique en conflit religieux. Benjamin Netanyahou a alors, en réplique, réaffirmé son attachement à la préservation du statu quo sur l’Esplanade des Mosquées.
Le Comité des Nations unies pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien a appelé, en mars 2014, le Conseil de sécurité à « réagir devant la multiplication des incursions par des extrémistes israéliens, des responsables politiques et des représentants du gouvernement de ce pays sur l’Esplanade des Mosquées à Jérusalem-Est ». Ces incursions sont, selon le bureau du comité, une provocation contre les Palestiniens et les fidèles musulmans, et elles ont souvent mené à des affrontements durant lesquels des Palestiniens ont été blessés, arrêtés et placés en détention. Le Comité a également dénoncé la proposition de loi au Parlement israélien qui cherche à imposer la souveraineté sur l’esplanade (269).
Comme l’a affirmé Nasser Judeh, ministre des affaires étrangères de Jordanie, le 15 octobre 2014, ces évènements sont particulièrement préoccupants, car ils peuvent « entraîner la région dans un conflit religieux, et attiser l’extrémisme, le terrorisme et la violence dans la région et le monde ». Les autorités jordaniennes, gardiennes des Lieux saints musulmans à Jérusalem, ont exhorté la communauté internationale à faire entendre à Israël le nécessaire respect du statu quo obtenu en 1967 (270), et affirmé que la Jordanie prendrait toutes les mesures politiques et juridiques nécessaires pour imposer le respect de l’accord de paix de 1994.
La France doit fermement exhorter les autorités israéliennes à ne pas laisser perdurer la banalisation d’un discours visant à terme à remettre en cause le statu quo, ainsi que les tensions chroniques entretenues par plusieurs groupes radicaux israéliens sur et aux abords de l’Esplanade des Mosquées. Elles pourraient se traduire par un drame aux répercussions politiques imprévisibles, non pas seulement au Proche-Orient mais dans tout le monde musulman, sensible au destin de ce troisième Lieu saint de l’Islam.
● La poursuite de la colonisation
Depuis le 29 juillet 2013, date du début de la séquence des négociations, environ 21 000 unités de logements dans les colonies ont fait l’objet d’autorisations.
Du 29 juillet 2013 au 24 avril 2014, environ 17 000 unités de logements dans les colonies ont fait l’objet d’autorisations.
A la suite de la formation d’un gouvernement d’entente national palestinien en juin, Israël a publié des appels d’offre pour 1 500 logements en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, a autorisé des projets portant sur 1 084 nouveaux logements en Cisjordanie et a délivré des permis de construire pour 172 logements à Jérusalem-Est.
Suite à l’intervention à Gaza, la colonisation a marqué une nouvelle accélération. Ainsi, après avoir réquisitionné 400 hectares de terres dans le gouvernorat de Bethléem le 31 août 2014, puis avoir autorisé fin octobre la construction de 2 610 nouveaux logements à Givat Hamatos, les autorités israéliennes ont fait avancer la construction d’un nombre important de logements à Jérusalem-Est : 450 à Har Homa, 600 à Ramat Shlomo et 228 àRamot. Enfin, une nouvelle annonce de constructions a été faite le 24 décembre 2014, portant sur 73 logements à Har Homa et 307 à Ramot (Jérusalem-Est).
Le nombre de colons israéliens en Cisjordanie a atteint en juin 2014 un total de 382 031 personnes, a annoncé, mardi 16 septembre 2014, le Conseil de Yesha.
● L’engagement de ce que certains qualifient « d’Intifada diplomatique », présentée comme une réponse à l’impasse des négociations, mais dont la portée demeure plus qu’incertaine
Le 26 septembre 2014, Mahmoud Abbas a réclamé, devant l’Assemblée générale des Nations unies, une résolution du Conseil de sécurité qui viserait à « parvenir à la paix en se fixant comme objectifs la fin de l’occupation israélienne et une solution à deux États, avec un calendrier spécifique pour la réalisation de ces objectifs ». Revenant sur la récente crise de Gaza, Mahmoud Abbas a accusé Israël d’y avoir mené « une nouvelle guerre de génocide », promettant de tout faire pour châtier les coupables.
Le lendemain, Nabil Shaath, leader du Fatah, a déclaré que le Président Abbas livrerait « une guerre politique » à Israël, si la réponse à l’initiative palestinienne était négative. En cas de veto américain, Mahmoud Abbas donnerait son feu vert à « la guerre du boycott international d’Israël », et le renverrait devant ses responsabilités, à la Cour pénale internationale notamment.
En réponse, le ministre des affaires étrangères israélien, Avigdor Lieberman a accusé dans un communiqué Mahmoud Abbas de « terrorisme diplomatique », ajoutant : « Mahmoud Abbas ne veut pas et ne peut pas être un partenaire pour un règlement politique du conflit. Tant que Mahmoud Abbas sera président de l’Autorité palestinienne, le conflit continuera ».
Les Palestiniens ont décidé de précipiter, le 30 décembre 2014, le vote de leur projet de résolution au Conseil de sécurité au risque de se heurter à un refus.
Le lendemain du rejet prévisible du projet de résolution (cf. supra), les Palestiniens ont relancé leurs démarches d’adhésion à des conventions internationales, dont le Statut de Rome. Le 7 janvier, le Secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, a accepté la demande d’adhésion. En réaction, les autorités israéliennes ont gelé, dès le 3 janvier, le versement de 106 millions d’euros de taxes et droits de douane collectés pour le compte de l’Autorité palestinienne, qui représentent plus des deux tiers de ses recettes budgétaires propres.
● L’année 2014, véritable parabole du conflit israélo-palestinien
L’année 2014 a commencé dans l’espoir d’une relance du processus de paix. Elle s’est terminée par une série de décisions unilatérales de part et d’autre, dans une course aux gains tactiques de court terme. Elle a surtout été marquée, au cœur de l’été, par une guerre meurtrière qui a creusé un peu plus la défiance des deux parties.
Échec des reprises de pourparlers sous égide américaine ; nouvelle intervention à Gaza, soldée par de lourdes pertes humaines et dégâts matériels ; montée des violences en Cisjordanie et à Jérusalem, et, de manière inédite et particulièrement inquiétante, sur l’Esplanade des Mosquées ; impasse de la réconciliation interpalestinienne ; poursuite de la colonisation par les autorités israéliennes ; lancement d’une « Intifada diplomatique » par l’Autorité palestinienne : l’année 2014 pourrait symboliser à elle seule l’échec total du processus de paix et l’escalade de la violence, dont les responsabilités sont partagées par les dirigeants, et dont les peuples israélien et palestinien continuent de payer le prix. Tout laisse craindre une reprise à court terme des violences, si rien n’est fait, alors même que la solution négociée des deux États s’éloigne de jours en jours.
b. La perspective d’une solution à deux États, vivant côte à côte dans la paix et la sécurité, est chaque jour plus menacée
La viabilité de la solution des deux États, approuvée par les deux parties au conflit, reste plus que jamais le credo de la diplomatie française, comme celui de la communauté internationale. Des deux côtés, il existe encore aujourd’hui – mais pour combien de temps, une majorité en faveur de cette option qui, sur le terrain, est chaque jour davantage mise en péril. En 2012, Robert Serry, envoyé spécial des Nations unies pour le processus de paix au Proche-Orient, estimait que toutes les parties se dirigaient vers un seul État. En 2015, il juge que nous nous trouvons au seuil de cette porte. (271)
● Sur le terrain, la mise en oeuvre d’une paix à deux Etats est chaque jour plus menacée
Il faut tout d’abord souligner la réduction de l’assise territoriale du futur État palestinien.
La poursuite de la colonisation menace chaque jour un peu plus la viabilité d’un accord de paix entre deux États viables. Il faut surtout souligner que la majorité des nouvelles unités de construction en 2013 et 2014 est en effet située à l’Est du tracé du Mur, dont un grand nombre au coeur de la Cisjordanie.
Selon l’ONG israélienne « La Paix maintenant », les 256 unités de logements prévues dans la colonie de Nofei Prat tripleraient quasiment son nombre d’habitations. Des unités de logements sont appelées à être construites dans des colonies de petite taille comptant actuellement moins de 500 habitants. Ainsi, la colonie de Givat Salit, située à l’extrême nord-est de la Cisjordanie, près de la frontière jordanienne, pourrait voir sa population en théorie multipliée par 13, avec la construction de 125 nouvelles unités de logement.
Le gouvernement israélien a approuvé, fin septembre 2014, un plan portant sur la construction de 2 610 logements à Givat Hamatos. Situé au sud de Jérusalem, Givat Hamatos est aujourd’hui encore largement composé de caravanes et de mobile-homes. Toute construction sur ce site ferait donc de Givat Hamatos une nouvelle colonie de Jérusalem-Est, la première depuis Har Homa il y a plus de quinze ans. Cette décision ouvre la voie à la publication d’appels d’offres pour les parcelles de propriétés privées pouvant faire l’objet de permis de construire immédiats, sans publication préalable d’appels d’offres. Qualifié de « mini E1 », Givat Hamatos serait un point de non retour, menaçant directement la solution des deux Etats.
Un projet de funiculaire serait de plus à l’étude à Jérusalem, qui permettrait de désenclaver les colonies israéliennes isolées situées dans le quartier de Silwan, quartier qui a été l’un des foyers des tensions de la fin de l’année 2014, et où le projet municipal de complexe touristique revêt un grand potentiel de déstabilisation, compte tenu de la proximité de l’Esplanade des Mosquées.
Le projet de colonie israélienne de Givat Eitam (Sud-Est de Bethléem) souvent désigné sous le nom de « E2 » compte tenu de son impact critique sur la solution des deux Etats, pourrait s’accélérer. Il s’agit de créer une colonie de 2 500 logements à l’Est de la colonie d’Efrat, au-delà du tracé du Mur de séparation. En achevant l’encerclement de Bethléem au Sud, ce projet favoriserait la constitution d’un nouvel axe transversal Est-Ouest tronçonnant la Cisjordanie.
Toujours selon l’ONG « La Paix maintenant », le 30 janvier 2015, les autorités israéliennes ont rendu public une série d’appels d’offres devant conduire à la construction de 430 nouveaux logements dans quatre colonies de Cisjordanie, et ont ouvert une enquête publique relative à la construction de 93 nouveaux logements dans la colonie de Gilo à Jérusalem-Est.
Certaines études soulignent dès lors le fait que l’imbrication des populations rend de plus en plus difficile le partage du territoire en deux États, car celui-ci ne pourrait créer des zones de peuplement homogènes, à moins de transferts majeurs de populations. L’imbrication porte également sur les ressources naturelles, les réseaux de communication, ou encore la distribution d’énergie.
De plus, malgré l’ampleur de l’aide financière apportée par les principaux bailleurs internationaux, la construction et la consolidation des bases du futur État palestinien sont de plus en plus fragiles.
Les autorités palestiniennes doivent faire face à une nette dégradation de la situation économique, d’autant plus préoccupante qu’elle pèse sur une situation sociale déjà tendue.
En 2014, le PIB a diminué pour la première fois depuis le milieu des années 2000. Selon un rapport récent de la Banque mondiale, en termes réels, le PIB aurait diminué près de 4 % (cette contraction atteindrait 15 % dans la bande de Gaza). Il faut remonter à l’année 2006 – alors que la victoire du Hamas aux élections législatives de Gaza avait conduit à une restriction des aides internationales à la Palestine – pour retrouver une chute comparable de la croissance (272). C’est principalement l’effet de la baisse notable de l’aide internationale en 2014, proche de 14 %. La situation ne devrait pas s’améliorer en 2015 : les services du FMI estimaient au début de l’automne que l’aide extérieure serait ramenée de 1,467 milliard de dollars en 2014 à 1,193 milliard de dollars en 2015, soit une diminution de près de 19 %. Par ailleurs, la dégradation de la situation sécuritaire suite à la crise de l’été dernier et l’absence de perspective offerte par le processus de paix, atteignent la confiance des agents économiques. A Gaza, où de larges pans de l’industrie et de l’agriculture locale ont été détruits, la reconstruction, qui devrait prendre des mois, sinon des années, est freinée par les restrictions d’approvisionnement mais aussi le retard pris par le décaissement de l’aide internationale.
La situation budgétaire est elle aussi critique (273), notamment en raison de la hausse des dépenses due à la nécessaire reconstruction de Gaza. Il n’est de plus pas à exclure que l’aide apportée à Gaza entraîne un effet d’éviction sur le soutien apporté à l’Autorité palestinienne. Surtout, la couverture du déficit résiduel atteint ses limites, et l’augmentation des arriérés de paiement relève d’une « fuite en avant » qui fragilise chaque jour un peu plus la situation financière des fournisseurs de l’Autorité. Israël a annoncé, le 28 janvier 2015, que la compagnie d’électricité israélienne avait commencé à couper l’électricité deux heures par jour dans les zones sous contrôle de l’Autorité palestinienne, en raison de la dette palestinienne auprès de la compagnie (1,8 milliard de shekels).
Il faut aussi noter que le PIB par tête est en diminution constante du fait de la pression démographique. Enfin, touchant 25 % de la population active en 2013, le taux de chômage est en augmentation et pourrait atteindre 30 % de la population active en 2014. (274)
Mais les difficultés ne sont pas uniquement d’ordre économique. Le dernier rapport du Bureau pour la coordination des affaires humanitaires des Nations unies sur la zone C, partie de la Cisjordanie placée sous contrôle israélien met en lumière les vulnérabilités de ce qui pourrait constituer 62 % du territoire du futur État palestinien: difficultés d’accès à l’électricité et au réseau d’eau, démolitions de logement, restrictions de mouvement. Ce même rapport préconise d’améliorer la protection de ses habitants, en mettant l’accent sur Gaza, la zone C, Jérusalem Est et la seam zone (située entre la ligne verte de 1967 et la barrière de séparation). Il insiste sur le fait que le développement de cette zone doit faire l’objet d’une attention prioritaire pour consolider un futur État palestinien.
● Dans les opinions publiques, la solution des deux États tend à perdre du crédit, érosion d’autant plus inquiétante qu’elle n’a pas d’alternative
Comme le soulignait le chercheur Bruno Tertrais lors de son audition par la mission, « l’idée qu’il y a une alternative à la solution à deux Etats est la plus dangeureuse des illusions», mais elle gagne du terrain, aussi bien dans les cercles palestiniens qu’israéliens.
Côté palestinien, dans la situation inextricable dans laquelle elle se trouve aujourd’hui, « la jeunesse palestinienne ne voit plus dans l’idée d’État de Palestine un thème mobilisateur », souligne Jean-François Legrain. Comme l’a souligné l’une des personnalités auditionnées par la mission, « personne ne sait ce que la prochaine génération voudra. Elle pourrait être moins marquée par l’affrontement et moins radicale que la génération actuelle, mais on peut aussi envisager le contraire. » Il y a de fait un risque que la stratégie palestinienne établie à partir de 1977, de reconnaissance de deux États, fasse place à un retour à la stratégie antérieure, celle de la cause palestinienne dans toutes ses composantes, y compris les réfugiés, qui n’implique pas l’existence de deux États.
De fait, les revendications de la population sont aujourd’hui plus économiques et sociales que politiques. Certains proposent de remettre la résolution du conflit à plus tard pour se concentrer sur le renforcement des droits des Palestiniens. Ainsi de Sari Nusseibeh, directeur de l’Université Al-Qods, qui dans un ouvrage publié en 2012, prônait l’établissement d’un droit de séjour des Palestiniens vivant sous autorité israélienne (275). Des membres du Fatah se sont également déclarés en faveur d’un État binational. Ahmed Qoreï – ancien Premier ministre de l’Autorité palestinienne et négociateur des Accords d’Oslo – estime que la solution à deux États est morte, et que l’option d’un État binational doit être envisagée (276).
Côté israélien, certains courants au sein de la classe politique prônent l’annexion de la Cisjordanie (277), ce qui placerait Israël dans un réel dilemme existentiel. Selon l’envoyé spécial des États-Unis au Proche-Orient, Martin Indyk, l’annexion de la Cisjordanie, comme le réclame une partie de la droite israélienne, poserait clairement la question du caractère démocratique de l’État d’Israël : « si Israël demeure démocratique, alors les Palestiniens seraient majoritaires. Si Israël reste un État juif, alors les Palestiniens seraient privés de leurs droits » (278). C’est aussi le raisonnement tenu par l’historien et ancien Ambassadeur d’Israël en France, Elie Barnavi, qui estime qu’il en va de la survie même de son pays, qui n’aura, a-t-il déclaré devant les membres de notre commission le 4 février 2015, « bientôt le choix qu’entre la guerre civile et l’apartheid ».
En l’absence de règlement rapide du conflit, la tendance qui se dessine aujourd’hui est bien celle d’une perte de crédit de la solution des deux États auprès de la population, et d’une faillite réelle de sa possibilité même sur le terrain, du fait de l’affaiblissement du futur État palestinien et de la poursuite de la colonisation. La reconnaissance de la Palestine comme État par la communauté internationale n’apporterait d’ailleurs pas de solution miraculeuse au problème si les autorités palestiniennes ne disposaient pas des moyens de le gouverner.
● Une érosion de la paix à deux États d’autant plus inquiétante que cette solution ne connaît pas d’alternative
Le maintien d’un conflit de basse intensité menace la perspective d’une paix entre deux États.
Le scénario d’un statu quo évolutif pourrait en effet aboutir, selon certains, à une solution à trois États (Israël, la Cisjordanie rattachée à la Jordanie et Gaza à l’Égypte), défendue notamment par l’actuel ministre de la défense israélien (279). D’aucuns répondent que cette solution nourrirait frustrations et haines, et ne serait pas sans danger pour Israël à long terme, qu’elle contribuerait à isoler (280). D’autres prônent la fondation d’un État commun, ou binational, arguant du fait qu’il n’existe qu’un seul État qui exerce son pouvoir sur l’ensemble du pays, qui en assure l’administration, en régit la législation civile et militaire, et dont dépend en réalité l’étendue des pouvoirs des autorités palestiniennes. Jean-François Legrain, auditionné par la mission, souligne ainsi le fait que Mahmoud Abbas a lui-même menacé à plusieurs reprises, la dernière fois en 2012, de démanteler l’Autorité palestinienne si les négociations n’avançaient pas. Comme l’a rappelé l’Ambassadeur d’Israël en France, lors de son audition devant la commission du 11 juin 2014, « Israël, considérant que parvenir à deux États pour deux peuples est la seule solution viable au conflit israélo-palestinien, a fait le choix stratégique d’accepter la division du territoire entre deux peuples ». Pourtant, Benyamin Netanyahou, lors de la campagne électorale, est revenu sur sa déclaration de 2009, à l’Université de Bar-Ilan, en affirmant que s’il était désigné Premier ministre, il n’y aurait pas d’État de Palestine, déclaration que la Mission juge particulièrement inquiétante (281).
La France s’est depuis longtemps déclarée favorable à la solution des deux États. Depuis le 29 novembre 1947, lors du vote de l’Assemblée générale des Nations unies sur la création de deux États, où la France apporta sa voix décisive, notre ligne diplomatique n’a pas changé. Elle fut l’une des premières nations à reconnaître l’État d’Israël, qui dut conquérir de haute lutte son droit à l’indépendance. Ce fut la position du Général de Gaulle, de ses successeurs – notamment, dans un discours prononcé à la tribune de la Knesset en 1982, de François Mitterrand, qui reconnut l’aspiration légitime du peuple palestinien à un État (282).
Les alternatives à la solution des deux États sont pour la France inacceptables : un État binational, qui à terme remettrait en cause la nature d’Israël comme foyer du peuple juif, et l’exclusion des populations palestiniennes, aux dépens de nos valeurs et du caractère démocratique de ce pays. Il est donc plus que jamais urgent de trouver le moyen de non pas seulement reprendre les négociations, mais de les voir aboutir.
Comme l’a rappelé Laurent Fabius lors du débat relatif à la proposition de résolution adoptée par l’Assemblée nationale en novembre 2014, en cas d’échec des pourparlers, la France n’aura pas d’autre choix que de reconnaître l’État de Palestine, pour garantir la pérennité de la solution qu’elle a défendue avec constance : le droit égal et souverain des deux peuples à co-exister en paix et en sécurité sur ce territoire.
2. La reprise, et le succès, des négociations bilatérales sous l’égide des Américains sont plus qu’hypothétiques
L’antagonisme, de plus en plus marqué, et l’absence de vision stratégique, des deux parties au conflit se doublent d’une certaine lassitude des Américains, sur fond de tensions entre Israël et les États-Unis. S’y ajoute une certaine fatigue de la population qui, pourtant aspire à la paix. Selon Elie Barnavi, « aucun sursaut ne viendra des Israéliens eux-mêmes, pas plus que des Palestiniens, d’ailleurs. La faiblesse extrême des protagonistes les rend incapables d’aboutir par eux-mêmes à une entente. Les fautes sont partagées, nous négocions depuis vingt ans, sans succès. » Dans ces conditions, la reprise, et l’aboutissement, des négociations selon le format antérieur sont plus qu’hypothétiques. Un consensus se dégage sur l’idée que la méthode de négociation basée sur les accords d’Oslo a fait son temps.
a. Les autorités israéliennes ne peuvent seules porter le poids d’une reprise des négociations
L’équation stratégique régionale dans laquelle se trouve Israël, ainsi que l’évolution de son paysage politique, ne laissent pas présager un retour rapide des autorités israéliennes aux négociations.
● Les crises du voisinage d’Israël obèrent la perspective d’une reprise des négociations et de concessions israéliennes
Selon le chercheur Itamar Rabinovitch (283), la complexité et l’ambiguïté de la relation d’Israël à son voisinage déterminent en grande partie l’agenda politique et sécuritaire de ses dirigeants. Depuis sa création, le pays a su certes « rompre l’hostilité des pays arabes, faire la paix avec deux de ses voisins », mais le débat relatif à l’identité de l’État, de son rôle et de sa place dans la région, et, surtout, au conflit israélo-palestinien, gouverne l’agenda politique du pays.
Même si d’autres préoccupations occupent une place importante dans les débats, les élections de mars 2015 constituent une forme de référendum sur ces sujets. Comme explicité plus loin dans le rapport, le « Camp sioniste » prône une réactivation du processus de paix, mais doit aussi tenir compte d’un indéniable glissement à droite de l’électorat israélien (284). Le chercheur estime que quel que soit le résultat des élections, même une forte volonté politique ne suffira pas à convaincre une population qui, bien qu’aspirant à la paix, regarde les pourparlers avec scepticisme. Pourtant, le Gouvernement élu devra apporter une réponse au conflit et au problème sécuritaire qu’il pose pour Israël.
Du point de vue israélien, les crises du voisinage proche obèrent la perspective d’un retrait des forces israéliennes de Cisjordanie et la signature d’un accord de paix. La prise de pouvoir par le Hamas à Gaza, après le retrait israélien en 2005, résonne encore avec force dans la mémoire de l’opinion publique.
Il est difficile en effet de qualifier aujourd’hui d’ordre régional le voisinage d’Israël. Les « révolutions arabes » dans la région se sont traduites par la fragilisation, lorsque ce n’est pas la disparition, des États syrien, irakien, libyen. L’ombre de la déstabilisation plane aussi sur le Liban et la Jordanie. L’affirmation de la Turquie, mais surtout de l’Iran, au plan régional modifient elles aussi les équilibres de la région. L’accord intérimaire signé avec l’Iran à Genève, le 24 novembre 2013, a été vécu par la diplomatie israélienne, qui considère la menace iranienne comme prioritaire, comme un échec, sinon comme une trahison, américaine. Israël s’inquiète du renforcement de l’influence de l’Iran et du Hezbollah du fait du conflit syrien, ainsi que de l’afflux de réfugiés et de la dégradation de la situation militaire sur le Golan entraînés par cette crise proche. Face à ce qu’elles perçoivent comme une menace immédiate pour leur sécurité, les autorités israéliennes ont le sentiment que, sans parler de retrait, l’intérêt et l’influence des Américains au Proche et Moyen-Orient sont déclinants (refus d’un engagement au sol en Irak, attitude inhibée sur la crise syrienne, difficulté à choisir entre réformistes et islamistes dans le contexte des « révolutions arabes », moindre intérêt stratégique de la région au regard des besoins énergétiques du pays).
Dans ce contexte, et bien que Benyamin Netanyahou se soit prononcé, lors de son discours à l’Université de Bar-Ilan à Tel Aviv, en 2009, en faveur d’une solution des deux États, avant d’adopter une position contraire lors de la récente campagne électorale, toute tentative de reprise des négociations pourrait se heurter à une réponse négative de la part des autorités israéliennes, au motif qu’aucun accord de paix ne peut être signé tant que le problème iranien n’est pas réglé et tant qu’il y a des djihadistes à la frontière.
● La politique actuelle est cependant débattue en Israël : crainte que le non-règlement de la question palestinienne ne provoque un isolement diplomatique du pays, ne remette en cause la solidité du partenariat avec les Américains, et ne menace ses intérêts vitaux
La stratégie à long terme des autorités israéliennes soulève des interrogations, sinon des critiques, y compris en Israël.
Les questions socio-économiques (salaire minimum, pauvreté, logement, coût de la vie, etc.) (285) ont occupé une place importante durant la campagne électorale qui a marqué le début de l’année 2015. Mais la question de l’isolement diplomatique du pays et de la dégradation de la relation avec le partenaire indispensable que sont les États-Unis, a elle aussi été largement débattue par la classe politique.
En septembre 2014, le ministre des finances israélien, Yair Lapid, a vivement critiqué la décision israélienne de confisquer des terres en Cisjordanie au motif qu’elle pouvait créer une crise avec les Américains et nuire au soutien international d’Israël. La ministre de la justice israélienne, Tzipi Livni a estimé que cette appropriation affaiblissait Israël et portait atteinte à sa sécurité. Plus récemment, l’ancien dirigeant du Mossad, Meir Dagan, a fustigé ce qu’il a qualifié de logique de confrontation avec l’administration américaine de la part de l’actuel Premier ministre, considérant qu’elle faisait peser sur Israël le risque de perdre la protection américaine.
Il serait excessif de parler d’isolement diplomatique. Cependant, bien qu’elles reposent sur de solides fondamentaux, les relations entre Israël et les Etats-Unis se sont sinon altérées, du moins tendues cette année, comme en témoignent les attaques publiques dont John Kerry a fait l’objet de la part du ministre de la défense, Moshe Yaalon, ou encore la visite très critiquée de Benyamin Netanyahou au Congrès américain. L’Ambassadeur d’Israël aux Etats-Unis rappelait récemment dans une interview que le nœud du problème avec les Etats-Unis se trouvait dans une différence d’approche sur le dossier iranien. Selon Martin Indyk (286), envoyé spécial des États-Unis durant les négociations de 2013-2014, la tendance actuelle serait à un soutien moins appuyé des démocrates à Israël, signe que la question devient « partisane », ce qui pourrait altérer la relation bilatérale. Certes, Israël a diversifié ses alliances, en se rapprochant de la Russie, de l’Inde, de la Chine, mais aussi des pays du Golfe, ce qui pourrait peser sur ses futurs choix stratégiques, tandis que sa lutte contre le Hamas et sa guerre déclarée au terrorisme pourraient conduire à une alliance de facto avec les pays arabes. Pourtant, selon le même analyste, « si les Etats-Unis ne sont pas le seul ami d’Israël, ils sont son seul ami fiable ».
D’aucuns estiment que la stratégie actuelle menace à long terme les intérêts vitaux du pays. Ainsi de Shimon Peres, ancien Président d’Israël, qui déclarait récemment : « ceux qui ont renoncé à chercher à faire la paix sont des naïfs, qui vivent dans l’illusion et ne sont pas patriotes. Où est l’initiative de paix israélienne ? (…) Dans le monde le temps joue contre nous. » De fait, le maintien du statu quo dans les négociations, doublé de la poursuite de la colonisation, menacent la pérennité de la solution à deux États, et par conséquent l’avenir d’Israël. Selon Elie Barnavi, « sans État palestinien à nos côtés, c’est l’avenir même d’Israël qui est compromis. » (287)
Selon l’ancien ministre des affaires étrangères israélien, Shlomo Ben Hami, le conflit est devenu un piège dont les autorités israéliennes ne parviennent pas à sortir. L’image d’Israël se dégrade à chaque nouvelle crise. La supériorité militaire se mue en infériorité stratégique, dès lors qu’elle fragilise l’image internationale d’Israël et pourrait accélérer le divorce avec les opinions publiques en Europe et aux États-Unis. Il estime en effet que quelle que soit la supériorité militaire d’Israël et malgré l’ampleur des destructions à Gaza, le Hamas, qui a certes subi des pertes conséquentes, a survécu à l’opération « Bordure protectrice », comme il a survécu aux crises antérieures. Il est donc difficile de savoir si Israël sort vainqueur de cette ultime intervention, d’un point de vue sécuritaire d’abord, car la démilitarisation de Gaza n’a pas avancé. D’un point de vue diplomatique ensuite, d’un point de vue politique, enfin, car le retour cyclique de la violence pourrait sérieusement mettre en doute au sein de la population l’efficacité de l’action gouvernementale.
D’autres pointent la relation paradoxale entretenue avec le Hamas. Selon la chercheure Leila Seurat (288), même si les déclarations du Premier ministre israélien sont hostiles au Hamas, de fait, l’opération « Bordure protectrice » de l’été 2014 tend à accréditer la thèse selon laquelle les autorités israéliennes s’efforcent de contourner la question de la création d’un État palestinien, en encourageant d’une certaine façon l’édification d’une entité autonome à Gaza. Selon un interlocuteur de la mission, « Benyamin Netanyahou est hostile à la solution à deux États. Le Hamas aussi y est hostile. » La dernière tentative de réconciliation entre le Fatah et le Hamas, en avril 2014, et sa reconnaissance par l’Union européenne et les États-Unis, ont provoqué la colère du Gouvernement israélien. Considérant que Mahmoud Abbas avait choisi le camps de la guerre, en annonçant la formation d’un gouvernement commun, les autorités israéliennes ont pris des mesures immédiates : impossibilité pour les ministres résidant à Gaza de se rendre à Ramallah pour prêter serment, refus de laisser les forces de sécurité de la présidence palestinienne se déployer à la frontière entre Gaza et l’Egypte, non-versement par Mahmoud Abbas du salaire des fonctionnaires de la bande de Gaza qui ne sont pas affiliés au Fatah.
Enfin, pour certains commentateurs, ce qui se joue aujourd’hui en Israël est l’affrontement, et le choix nécessaire, entre deux visions du sionisme : un sionisme pragmatique et séculier, autrefois incarné par les deux grands partis de Gouvernement que sont le Likoud et le parti travailliste, tous deux en crise, et un nouveau sionisme idéologique, qui tend vers le messianisme.
Naftali Bennet incarne cette tendance. Le dirigeant du parti « Foyer Juif », a ainsi déclaré en décembre 2014 (289), que le « sionisme séculier qui avait bâti l’Etat d’Israël avait terminé de jouer son rôle dans l’histoire », et qu’il se déclarait prêt à prendre le relais. Le parti « Foyer juif » s’oppose à la solution à deux États, Naftali Bennett estimant que « nul ne peut occuper sa propre terre ». Selon les sondages, ce parti tend à se constituer comme la troisième force politique du pays. Les partisans d’un sionisme religieux affirmé ne représentent plus une minorité négligeable de la population (77 000 personnes auraient participé aux primaires).
Selon Yitzhak Herzog, chef du parti travailliste, la crise de l’été a laissé Israël dans un « état post-traumatique ». La société israélienne opère un glissement à droite, qui dit-il, est parfaitement logique compte tenu du contexte des dernières années (290). Lors du Saban Forum aux Etats-Unis, il s’est montré cependant optimiste, soulignant que selon lui, les Israéliens ont de plus en plus conscience qu’Israël peut travailler avec des partenaires régionaux tels que la Jordanie, l’Égypte, mais aussi l’Autorité palestinienne pour répondre à des défis communs. Surtout, il souligne la nécessité d’un renouvellement de direction politique, capable d’être plus pro-active et de saisir l’opportunité de la paix. Selon lui, ce dont manque la direction actuelle, c’est d’une vision pour le futur d’Israël.
Benyamin Netanyahou, sans être un pur idéologue, doit donner des gages à l’aile droite de son parti. En témoigne sa proposition, le 1er mai 2014, de promouvoir un projet de loi fondamentale « assurant l’ancrage constitutionnel du statut d’Israël comme État-nation du peuple juif », bien qu’une phrase sur le caractère juif et démocratique de l’Etat apparaisse déjà dans une loi fondamentale sur la dignité et la liberté de l’Homme de 1992. Fortement soutenue à droite, la constitutionnalisation du caractère juif de l’État d’Israël a aussi fait l’objet de vives critiques, notamment de la part de Tzipi Livni, alors ministre de la justice, mais aussi de la gauche israélienne, qui a dénoncé la loi et le paradoxe de la politique conduite par le Premier ministre, conduisant selon elle à l’avènement d’un État binational qui perdrait sa majorité juive.
● Les résultats des élections anticipées du 17 mars 2015 ne devraient pas modifier fondamentalement les données du problème
Les résultats anticipés des élections du 17 mars dernier, donnent la victoire au parti de Benyamin Netanyahou. Il est encore tôt pour en analyser la portée, car la composition du Gouvernement ne sera connue que dans quelques jours.
Les résultats confirment quelques tendances de fond, comme le maintien de la popularité du Premier ministre sortant, le poids relativement limité des deux grands partis, qui autrefois structuraient la vie politique israélienne, bien que l’on constate une forme de retour à un clivage classique gauche-droite. La fragmentation de la vie politique, due à la crise du Likoud et du parti travailliste, et renforcée par le mode de scrutin proportionnel, ne favorise pas l’émergence d’une majorité solide, capable de prises de positions fortes en faveur d’un règlement du conflit.
Cependant, le score du « Camp sioniste » (291), alors même qu’Ythak Herzog n’est pas encore une personnalité jouissant d’une grande notoriété en Israël, traduit une volonté de changement d’une bonne partie de la population.
Le « Foyer juif », centré autour de la personnalité à la fois charismatique et controversée de Naftali Bennet, s’impose désormais comme une force politique incontournable à la Knesset, même si son résultat est inférieur aux pronostiques. Ce parti, dont la campagne active a été axée autour de thèmes nationalistes et identitaires (fierté israélienne, absence de partenaire palestinien, colonisation, refus de « céder aux pressions de la communauté internationale ») tente de se renouveler et d’attirer de nouvelles voix, bien que le cœur de son électorat demeure la droite religieuse.
Le parti « Israël Beitenou » d’Avigdor Liberman, qui demeure une personnalité très influente du paysage politique israélien, a été touché par une affaire de corruption, et apparaît affaibli. Il faut aussi mentionner la liste de l’ancien ministre Moshé Kahlon, qui devrait à l’avenir jouer un rôle clé dans les coalitions gouvernementales. Demeurent le parti « Yesh Atid » de Yaïr Lapid, qui ne cesse de baisser dans les sondages, les deux partis ultra-orthodoxes, et le « Meretz ». Enfin, fait notable, les partis arabes sont pour la première fois parvenus à présenter une liste commune et certains ont évoqué la possibilité de s’allier au « Camps sioniste ». Les résultats anticipés de l’élection en font la troisième force politique du pays, précédent historique dont les effets sont cependant difficilement mesurables en raison notamment du caractère très hétéroclite de cette liste.
Plusieurs scenarii sont possibles, mais dans tous les cas, il est peu probable qu’émerge à l’issue des élections du 17 mars, une large coalition à la fois favorable à une reprise immédiate des négociations et suffisamment unie et puissante pour porter le poids politique de cette décision. Dans l’hypothèse d’un Gouvernement d’union nationale, la capacité de ce dernier à constituer une coalition favorable à une paix juste et équilibrée sera extrêmement limitée. Dans l’hypothèse d’une reconduction de Benjamin Netanyahou, associé à Naftali Bennett, il est à craindre que la politique gouvernementale israélienne durcisse un peu plus encore ses positions. Une coalition comprenant le Likoud, le Foyer juif, Liberman Kahlon et les Ultra-orthodoxes ne modifiera pas non plus la ligne actuelle.
Lors de son discours devant l’Assemblée générale des Nations unies de septembre 2014, le Premier ministre israélien a insisté sur l’opportunité historique qui se présentait d’un partenariat possible contre la menace islamiste avec les Etats arabes, lequel pourrait faciliter un accord de paix avec les Palestiniens. Il a déclaré que pour réussir la paix, il fallait regarder à Jérusalem et Ramallah, mais aussi au Caire, à Amman, Abou Dhabi, Riyad et ailleurs. Il a rappelé qu’Israël était prêt à des compromis historiques. Mais Benyamin Netanyahou aurait-il l’intention et les moyens de bâtir une paix régionale, il ne peut assumer seul la responsabilité d’une reprise des négociations. Surtout, il a déclaré durant la campagne que s’il occupait le poste de Premier ministre, il n’y aurait pas d’État palestinien.
b. Du côté palestinien, la reprise de la diplomatie onusienne, dont la portée est incertaine, coïncide avec une fragilisation inquiétante et des divisions internes profondes
Côté palestinien, l’année 2015 s’annonce peu propice à une reprise des négociations : la transition politique de l’après-Abbas, désormais ouvertement débattue, pourrait aviver des luttes internes au sein d’une Autorité palestinienne déjà affaiblie, et dont on peut s’inquiéter du manque de popularité croissant auprès de la population. S’y ajoute l’échec patent de la nouvelle tentative, amorcée en avril 2014, du processus de réconciliation inter-palestinienne, renforcé par l’ambiguïté de l’attitude du Hamas. Enfin, un profond scepticisme à l’égard du processus de paix a poussé Mahmoud Abbas à activer une stratégie alternative aux Nations unies, dont les objectifs et les conséquences sont incertains.
● Le privilège accordé à la voie politique depuis les accords d’Oslo est en échec et pousse une Autorité palestinienne affaiblie et divisée au plan interne à une diplomatie onusienne aux conséquences incertaines
L’Autorité palestinienne est prise au piège de sa propre politique depuis les accords d’Oslo, entre nécessité de collaborer avec les autorités israéliennes, notamment en matière de sécurité, et difficulté à justifier cette collaboration auprès de sa propre population.
Par ailleurs, selon le chercheur Jean-François Legrain, auditionné par la mission, « la sclérose de l’Autorité palestinienne, perceptible dès l’ère Arafat, se manifeste par l’absence de renouvellement du leadership. Aucun successeur à Mahmoud Abbas ne semble se dégager, et ce vide est comblé par « des luttes intestines entre personnalités dénuées de soutien populaire » (292).
Alors que commence à se poser la question de l’après-Abbas, l’organisation du septième congrès du Fatah est un rendez-vous important. La tenue du congrès pourrait permettre de renouveler et redonner une forme de légitimité au leadership palestinien, mais pourrait aussi provoquer des désaccords au sein de la direction du mouvement. La question de la représentativité du congrès fait débat : certains membres du Fatah craignent un non renouvellement des idées et des instances du parti ou critiquent le manque de représentation des membres de la société civile.
L’organisation de ce congrès pose le problème de la succession de Mahmoud Abbas, non seulement au Fatah, mais aussi à la tête de l’Autorité palestinienne et de l’OLP. Celui-ci pourrait en effet faire le choix de ne pas se représenter à la tête du parti. Or, à la différence de Yasser Arafat, certains considèrent que Mahmoud Abbas n’a pas l’autorité ou la légitimité suffisante pour désigner son propre successeur.
Il ne s’agit pas seulement de dissensions interpersonnelles, mais aussi de divergences de vues sur la stratégie à mener, d’interrogations, voire de critiques sur la politique menée par Mahmoud Abbas. Certains pointent la multiplication d’initiatives sans hiérarchie ni cohérence (initiatives onusiennes, reconstruction de Gaza, réconciliation inter-palestinienne, recherche de soutiens internationaux, demande de reconnaissance de l’État de Palestine).
En l’absence de perspectives de reprise et d’aboutissement des pourparlers, les Palestiniens qui continuent d’affirmer leur attachement au processus de paix, se sont résolument engagées dans une stratégie alternative en faveur d’une reconnaissance internationale de la Palestine. La démarche palestinienne à l’ONU, qui vise à renforcer leur position dans les négociations et rééquilibrer ce qu’ils considèrent comme un rapport de force asymétrique, recueille une audience croissante auprès de la communauté internationale. La poursuite de la diplomatie onusienne de Mahmoud Abbas pourrait cependant aggraver les tensions si elle ne s’accompagne pas d’une nouvelle initiative de paix.
Selon le chercheur Alain Dieckhoff, « d’un point de vue inter-palestinien, cette stratégie s’inscrit dans le sillage d’une politique mise en place depuis l’été 2009 par le Premier ministre Salam Fayyad, privilégiant la solidification institutionnelle d’un État palestinien à l’enlisement des négociations qui fragilisent l’Autorité palestinienne auprès de sa population. Devant l’échec des négociations avec les Israéliens, les Palestiniens choisissent de déclarer un État en tant que tel et de ré-internationaliser la question palestinienne ».
En novembre 2012, la Palestine a acquis le statut d’État observateur non membre des Nations unies, à une majorité de 138 États, dont la France. Seuls neuf États ont voté contre la demande palestinienne, dont Israël, les États-Unis, le Canada et la République tchèque. Quarante et un pays ont choisi l’abstention, dont une dizaine de pays européens parmi lesquels l’Allemagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Pologne, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie et la Bulgarie.
L’Autorité palestinienne se prévalait en octobre 2014 de la reconnaissance de la Palestine comme État indépendant par 135 pays, soit près de 70 % des 193 États membres de l’ONU. Le 30 octobre 2014, la Suède a reconnu l’État de Palestine, et les Parlements britannique, français irlandais, portugais et espagnol ont appelé leur Gouvernement à en faire de même (293). Le Parlement européen a lui aussi, dans une résolution adoptée en décembre 2014, apporté son soutien à la reconnaissance de l’État palestinien. Le ministre des affaires étrangères français, Laurent Fabius, a quant à lui clairement affirmé qu’« en cas de blocage des négociations – ce que nous ne souhaitons pas, nous prendrons nos responsabilités en reconnaissant l’État de Palestine. »
En l’absence de perspective des pourparlers de paix, la direction palestinienne a repris sa diplomatie onusienne en septembre dernier. Un projet de résolution a été déposé par les Palestiniens, le 30 décembre 2014, au Conseil de sécurité demandait notamment un accord de paix d’ici douze mois et le retrait israélien des Territoires occupés avant fin 2017. Il a été rejeté, recueillant 8 voix « pour » (France, Chine, Russie, Jordanie, Chili, Argentine, Tchad, Luxembourg), deux voix « contre » (États-Unis et Australie) et cinq abstentions (Royaume-Uni, Nigeria, Lituanie, Corée du Sud, Rwanda).
Le leadership palestinien est tenté de revenir à la charge et de renouveler sa démarche auprès du Conseil de sécurité, prenant le risque de se heurter à un veto américain et à une crispation des autorités israéliennes. Une nouvelle initiative palestinienne, hors de toute reprise des négociations, pourrait cependant s’avérer prématurée et contre-productive, compte tenu des risques, on y reviendra, de contre-réactions israéliennes et américaines.
● Entre non-renoncement à la violence et efforts pour sortir de l’isolement diplomatique, signature d’un accord de réconciliation mais tentation d’administrer une bande de Gaza autonome, la stratégie du Hamas est marquée du sceau de l’ambiguïté
Le Hamas a essuyé quelques revers dans sa politique d’alliances, ce qui a renforcé son isolement diplomatique. Longtemps proche de l’Iran – de qui il recevait une assistance financière et militaire – le mouvement s’en est éloigné, notamment en raison d’un désaccord sur le conflit syrien. En janvier 2012, le leadership extérieur du Hamas, dont Khaled Mechaal, quitte Damas (294), capitale diplomatique du mouvement, où il était basé depuis son expulsion de Jordanie en 1999. Les rapports avec le Hezbollah libanais – qui est présent militairement en Syrie – se sont également dégradés.
Des formes de dissensions entre le Hamas et l’axe iranien ont coïncidé avec la victoire des Frères musulmans égyptiens aux élections législatives et présidentielles – respectivement en janvier et en juin 2012 (295). Les relations entre le Hamas et l’Égypte étaient mauvaises depuis 2007, lorsque Hosni Moubarak avait imposé un embargo sévère sur la bande de Gaza et l’arrivée au pouvoir des Frères musulmans en Égypte a semblé ouvrir une nouvelle ère. Le leadership extérieur du mouvement s’est installé à Doha, au Qatar, dont le pouvoir soutenait les Frères musulmans. Pourtant, les Frères musulmans, soutiens de la lutte armée contre Israël et favorables au Hamas lorsqu’il était dans l’opposition, ont tempéré leur position et renforcé leurs liens avec le Fatah (296). Ainsi la solidité du soutien apporté au Hamas est-elle peut-être à relativiser.
Ce qui n’empêchera pas la campagne anti-Morsi qui débute au printemps 2013 de toucher également le Hamas. Les nouvelles autorités accusent des activistes du Hamas de prêter main forte aux djihadistes qui multiplient les attentats meurtriers contre les forces de l’ordre dans la péninsule du Sinaï. En mars 2014, l’Égypte a interdit le Hamas et proscrit ses activités sur son sol, ordonnant le gel de ses avoirs. En janvier 2015, la branche militaire du Hamas a été classée comme organisation terroriste par la justice égyptienne. De même, le Qatar, qui tente de se rapprocher du pouvoir égyptien, pourrait reconsidérer sa position vis-à-vis du Hamas (297).
Le Hamas doit aussi faire face à la concurrence d’autres groupes, en premier lieu le Djihad islamique palestinien. Ce dernier refuse toute participation politique au sein de l’Autorité palestinienne, toute reconnaissance du processus d’Oslo et ne présente pas de candidats aux élections (298). Alors que la popularité du Hamas s’érode avec l’exercice du pouvoir, le Djihad islamique et sa branche militaire – la brigade Al-Qods – se renforcent. De plus, le mouvement a des liens anciens avec l’Iran et le Hezbollah, et semble avoir bénéficié d’un report de l’aide iranienne, qui a réduit son soutien au Hamas. En effet, la plupart des fondateurs du Djihad islamique ont pris parti pour la révolution iranienne de 1979 et ont alors été exclus, ce qui explique leur quasi-alignement sur la position iranienne. Pourtant, le mouvement n’est pas encore en mesure de contester la prééminence militaire du Hamas (299).
Certains groupuscules basés à Gaza auraient proclamé leur allégeance à Daesh (300). Pourtant, l’existence d’Al-Qaida ou de Daesh dans la bande de Gaza – si elle existe – demeure minoritaire. Le Hamas semble prendre la menace au sérieux. Ainsi, en 2009 il avait sévèrement réprimé le groupe Djound Ansar Allah, proche d’Al-Qaida, qui avait proclamé l’établissement d’un émirat islamique dans la bande de Gaza.
La crise de l’été 2014 a permis au mouvement islamique de proclamer sa « victoire » et de conforter son soutien populaire – du moins temporairement – au sein de la bande de Gaza, mais également en Cisjordanie. Un sondage effectué par le Centre palestinien de recherche et d’études politiques (301) à l’issue de la guerre démontre que 61 % des Palestiniens voteraient pour le Hamas en cas d’élections présidentielles.
L’opération « Bordure protectrice » aurait aussi permis au Hamas de se rapprocher à nouveau de l’Iran et du Hezbollah (302). Ainsi, selon un haut responsable du Hamas, la coopération avec la République islamique aurait repris son cours. La position à tenir sur la crise syrienne divise le mouvement, qui tente désormais de se distancier de la situation en appelant à une solution politique.
Selon Jean-François Legrain, le Hamas « demeure un acteur incontournable sur la scène politique palestinienne ». De fait, il semble impossible de compter sans un mouvement politique dont l’assise sociale est si large. Pourtant, rien n’indique pour l’heure une volonté du Hamas de rentrer dans le jeu politique et de construire l’unité palestinienne (au plan politique et territorial), et on peut se demander si ses efforts de compromis sont davantage motivés par un relatif isolement que par une ferme volonté politique.
● La réconciliation inter-palestinienne, condition sine qua non d’une paix durable, est dans l’impasse
Comme évoqué précédemment dans le rapport, un accord de réconciliation a été signé à Chati, le 23 avril 2014, entre le Hamas et le Fatah (303). Le 2 juin, un cabinet « d’entente », chargé de préparer la tenue d’élections présidentielles et législatives dans les six mois, a prêté serment devant le président Mahmoud Abbas (304). Il faut noter que l’accord ne fixe aucune ligne directrice concernant les potentiels points de désaccords, tels que l’unification des services de sécurité, la structure des institutions nationales. Cette tentative, condition sine qua non de la signature d’un accord de paix crédible, n’est pas la première. Le Hamas et le Fatah ont signé des accords au Caire en mai 2011et à Doha en février 2012.
La réconciliation, soutenue par l’Union européenne et les États-Unis, a certes donné quelques signes d’espoir. Une réunion des ministres du gouvernement d’entente nationale, formé le 2 juin et composé de technocrates, s’est tenue dans la bande de Gaza le 9 octobre 2014, pour la première fois depuis 2007, suite à l’accord signé le 25 septembre entre Fatah et Hamas pour permettre au gouvernement d’exercer son autorité sur Gaza.
Cependant, selon la chercheure Leila Seurat, « plus qu’un témoignage d’un engagement nationaliste, la volonté de réconciliation du Hamas s’explique comme un ultime recours pour sortir de l’impasse. » Ce rapprochement forcé du Hamas avec Ramallah se heurte à une « politique israélienne qui a tout intérêt à voir le mouvement islamiste continuer d’administrer seul la bande de Gaza. » (305) Jean-François Legrain estime pour sa part que l’accord de réconciliation n’est qu’un « simple subterfuge adopté par ses signataires sur la base d’une convergence conjoncturelle d’intérêts organisationnels, mais en l’absence d’un rapprochement politique de fond ou même de la volonté de parvenir à un accord qui ne soit pas le fruit de l’assujettissement de l’autre. » (306) Selon Leïla Seurat, la proposition de cessez-le-feu en dix points présentée par le Hamas et le Djihad islamique, le 16 juillet 2014, aux autorités égyptiennes, qui contient des demandes relatives à la levée du blocus, à la libération des prisonniers et à l’octroi d’une zone de pêche plus étendue, témoigne, par certains aspects, notamment le contrôle des points de passage de manière collégiale avec le Qatar ou la Turquie, d’une certaine intention d’établir une entité politique dans la bande de Gaza auto-administrée, bien que celle-ci doive rester sous domination israélienne.
De fait, la réconciliation a rapidement montré des signes de faiblesse. Une série d’attentats a touché les cadres du Fatah à Gaza le 7 novembre 2014. Depuis lors, Fatah et Hamas échangent accusations et invectives publiques alors que les relations sont de plus en plus tendues entre les deux mouvements. Le 13 janvier 2015, une réunion des ministres à Gaza a été interrompue par une manifestation d’employés recrutés par le gouvernement après 2007. Le non-versement, depuis des mois, par l’Autorité palestinienne, des salaires des 50 000 fonctionnaires recrutés par le Hamas, alors que les 70 000 fonctionnaires recrutés par l’Autorité palestinienne avant 2007 continuent de percevoir leur traitement, envenime les relations et attise les tensions.
Le Hamas pourrait aujourd’hui être tenté de pousser à la rupture du processus de réconciliation.
Selon Jean-François Legrain, l’échec annoncé de l’ultime tentative de réconciliation est en réalité le symptôme de la « dépalestinisation » de la Palestine, processus que l’entente entre le Fatah et le Hamas n’enrayera pas. Il estime en effet que ces dernières années, le recours aux médiations arabes (Arabie saoudite, Égypte, Qatar, Yémen) ou autres (Turquie, Iran), tour à tour ou de manière concomitante, marque le retour à une politique de tuteurs dont les Palestiniens avaient tenté auparavant de se libérer. Ainsi, « le président Abbas et le Fatah, tout entiers dévolus à la pérennisation de « leur » Autorité, accordent leur confiance aux États-Unis ou à l’Égypte de Hosni Moubarak puis à celle d’Abdel Fattah Al-Sissi quand Ismaël Haniyeh, le premier ministre de Gaza leur préfère le Qatar, l’Égypte de Mohamed Morsi et l’Iran » (307). La Palestine redeviendrait ainsi la caisse de résonance des intérêts et des conflits internationaux.
Une véritable réconciliation inter-palestinienne suppose des concessions pour les deux parties, auxquelles leurs dirigeants ne semblent pas prêts. Pourtant, le retour de l’Autorité palestinienne à Gaza, soutenu par la communauté internationale, n’aura aucun moyen de durer sans une alliance, en conformité avec les principes internationaux, avec le Hamas. Sans faire une confiance aveugle au Hamas, certains dirigeants de l’Autorité palestinienne perçoivent que la guerre contre lui mène aussi à une impasse.
c. Un échec du processus de paix dont la responsabilité est partagée par l’ensemble de la communauté internationale
Selon Miguel Ángel Moratinos Cuyaubé, ancien envoyé spécial de l’Union européenne au Proche-Orient, « bien qu’Israéliens et Palestiniens soient ceux qui porteront le poids des négociations, la communauté internationale ne pourra pas rester les bras croisés et attendre la « fumée blanche » ou « noire » du conclave qui vient de s’engager. Nous sommes nombreux à connaître les raisons de l’échec des négociations antérieures. C’est pourquoi nous devons assumer notre part de responsabilité. » (308) En effet, celle-ci est largement partagée par la communauté internationale, qui navigue entre positions velléitaires, poursuites d’agenda nationaux divergents qui obèrent toute prise de position commune forte sur le conflit, ambiguïtés et contradictions.
● Les États-Unis : attitude « velléitaire » ou lassitude ?
Il faut tout d’abord admettre ce que certains qualifient de « lassitude » américaine, d’autres même, comme Hubert Védrine lors de son audition par la mission, « d’attitude velléitaire » sur ce dossier.
Les quelques espoirs soulevés par le discours du Caire du 4 juin 2009 de Barack Obama, qui avait alors réaffirmé que « la seule solution qui corresponde aux aspirations des deux parties est la création de deux États, où Israéliens et Palestiniens vivront en paix et en sécurité. C’est l’intérêt d’Israël, l’intérêt de la Palestine, l’intérêt de l’Amérique et celui du monde entier », ont été déçus. L’ultime tentative de reprise des négociations, malgré l’implication et les efforts sincères du Secrétaire d’État John Kerry, qui n’ont peut-être pas bénéficié de l’appui nécessaire de la Maison Blanche, s’est soldée, à nouveau, par un échec.
Certains commentateurs pointent à ce titre ce qu’ils qualifient d’« erreurs » américaines dans la conduite des négociations (309).
La première erreur aurait été d’avoir toléré la poursuite de la colonisation, menace mortelle pour l’existence de deux États viables. La deuxième aurait été de ne pas associer suffisamment l’Union européenne aux pourparlers. Ainsi, « faute d’être prêt à corriger l’asymétrie inhérente à toute négociation entre un occupant et un occupé, M. Kerry aurait pu confier la tâche aux Européens. » La troisième erreur aurait consisté à ne pas s’appuyer plus fermement sur le droit international, socle pourtant indispensable d’un accord de paix, et à refuser toute multilatéralisation du règlement du conflit. La dernière erreur américaine aurait été de n’imposer ni date-butoir dans les négociations, ni « contrecoups » en cas d’échec, afin d’inciter les parties à négocier.
John Kerry, dont l’effort de médiation doit cependant être salué, aurait cru pouvoir compter sur la seule bonne volonté des deux parties pour faire aboutir les négociations. Approche qualifiée de naïve par ceux qui rappellent qu’Henry Kissinger n’avait pas hésité à faire pression sur les différents acteurs pour parvenir à un accord avec l’Égypte et la Syrie après la guerre du Kippour en 1973, de même que le Secrétaire d’État James Baker avant la Conférence de Madrid en 1991.
Martin Indyk (310), envoyé spécial des États-Unis durant les négociations de 2013-2014, estime pour sa part que le soutien des Etats-Unis à Israël ne saurait être remis en question. Ainsi, le Président Obama a clairement établi dès le début de son mandat que la coopération en matière de sécurité avec Israël ne saurait, en aucune circonstance, être remise en cause. Martin Indyk considère par ailleurs que les Américains peuvent parfaitement s’accommoder d’une non-résolution du conflit, qui ne figure pas en haut de leur agenda politique.
Cependant, il souligne une véritable lassitude américaine à l’égard du conflit, aggravée par les tensions récurrentes entre gouvernements israélien et américain. Selon lui, seule la force des liens d’amitié avec Israël permettent d’expliquer que les Américains continuent, sans grande conviction, de superviser les discussions bilatérales entre les deux parties au conflit. Mais il devient de plus en plus difficile aux États-Unis d’assumer seuls ce rôle de médiateur.
● L’Europe, premier bailleur du processus de paix, a échoué à parler d’une voix commune et s’est dégagée de toute implication majeure dans le règlement politique du conflit
L’attitude des Européens n’est de son côté pas dénuée d’ambiguïtés ni de contradictions.
L’Union européenne a joué un rôle pionnier dans l’élaboration des termes d’un règlement du conflit (dialogue avec l’OLP, droit des Palestiniens à l’auto-détermination, nécessité de créer un État palestinien), et fait preuve de constance dans ses positions durant les quarante années qui ont suivi la déclaration de Venise de 1980 (311). Elle s’est aussi dotée en 1993 d’un représentant spécial pour le Proche-Orient, qui a participé à la majorité des réunions internationales consacrées au conflit, à la commission présidée par le sénateur américain Georges Mitchell et, officieusement, aux négociations de Taba de 2001. Mais, après 2003, cette fonction a perdu en autorité et en autonomie.
L’Europe s’est ainsi dégagée de toute implication majeure dans le règlement politique du conflit, pour se concentrer sur le plan humanitaire et l’appui économique au processus de paix : à la faveur des accords d’Oslo – à la négociation desquels elle n’avait pas été étroitement associée – et de la reconnaissance mutuelle des deux parties, l’Union européenne s’est engagée, d’une part, à soutenir la construction du futur État palestinien et, d’autre part, à renforcer sa coopération avec Israël. C’est ainsi que l’Union européenne a négocié, dans le cadre du processus de Barcelone lancé en 1995, un accord d’association au profit de l’Autorité palestinienne. La même année, un accord d’association est signé avec Israël.
L’Union européenne a ainsi fait le pari d’établir une relation privilégiée avec les deux parties au conflit, s’appuyant sur des coopérations renforcées, laissant aux États-Unis le soin de négocier le volet politique d’un accord.
Si la pertinence de cette approche était réelle dans la perspective de la signature d’un accord à brève échéance, elle a cependant perdu en lisibilité et en efficacité.
D’une part, l’aide européenne, bien que financièrement substantielle, ne contribue que peu à la consolidation d’un futur État palestinien viable. À Gaza, son action se limite au volet humanitaire. En Cisjordanie, l’action de l’Union européenne vise à soutenir financièrement la perspective d’un État palestinien, on l’a vu, sans résultats très probants.
● Le Quartet : une tentative de multilatéralisation du conflit au bilan déplorable
Le Quartet n’a pas eu le rôle décisif qu’il aurait pu jouer dans le règlement du conflit (312).
Mis en place en 2002, dans le contexte tendu de l’après-Intifada, le Quartet est composé de l’Union européenne, de la Russie, des Nations unies et des États-Unis. L’Union est devenue, au cours des années 1990, le principal bailleur de fonds du processus de paix. La Russie a des liens historiques étroits avec les pays arabes ainsi qu’avec Israël – du fait notamment de la diaspora russe. L’ONU permet d’apporter une légitimité internationale au Quartet, et les Américains demeurent incontournables dans toute recherche de médiation dans le conflit israélo-palestinien.
L’objectif du Quartet était de promouvoir la solution des deux États. Il a également soutenu explicitement l’Initiative arabe de paix de 2002 (cf. rapport page 178). À l’initiative des Américains, le Quartet a surtout adopté en 2003 une « Feuille de route » en trois phases qui devait permettre la création en trois ans d’un État Palestinien. Ce plan prévoyait : un arrêt des violences, la réforme de l’Autorité palestinienne afin d’éradiquer la corruption, le renforcement de l’indépendance de l’autorité judiciaire ou encore la promotion d’élections libres, le gel de la colonisation, la création d’un État palestinien avec des frontières provisoires, enfin, des négociations entre Israéliens et Palestiniens pour finaliser la situation.
Le Quartet a par ailleurs énoncé des « principes » préalables à la reconnaissance d’un futur gouvernement palestinien, dès 2005. Ces principes sont au nombre de trois : abandon de la lutte armée, reconnaissance d’Israël et acceptation de tous les accords précédemment conclus, dont la Feuille de route.
Le Quartet s’est ensuite concentré sur la Cisjordanie – c’est l’approche officieuse dite de la « West Bank first ». Le pari étant qu’en améliorant les conditions de vie en Cisjordanie, par rapport à Gaza, les Gazaouis abandonneraient leur soutien au Hamas. C’est Tony Blair – nouvel émissaire du Quartet, fort peu impliqué dans ses fonctions – qui fut chargé de mener à bien cette tâche, sans succès.
L’impact du Quartet sur la réforme de l’Autorité palestinienne a été plus que mineur. Les étapes de la feuille de route n’ont pas été mises en œuvre. En réalité, les conditions de sa mise en œuvre sont volontairement restées trop vagues. Selon certains, il s’agissait de maintenir un semblant d’efforts diplomatiques en attendant que les États-Unis – après leur intervention en Irak – se réengagent sur la question. Le Quartet n’a jamais eu la volonté de remplacer les États-Unis comme médiateur officiel du conflit.
Selon l’étude de la chercheure Nathalie Tocci, le boycott et l’intransigeance du Quartet, initiée par les Américains, vis-à-vis du Hamas, n’a pas été efficace. Le Quartet aurait pu exercer une pression sur le Hamas, pour l’amener à faire des concessions supplémentaires. Cela a entraîné une perte de crédibilité internationale du Quartet – notamment au sein des populations arabes, qui a également entravé le processus de réconciliation interpalestinienne.
S’y ajoutent les divergences d’intérêts entre les membres du Quartet.
Les États-Unis n’ont jamais exprimé une volonté forte de promouvoir une approche multilatérale dans la médiation du conflit israélo-palestinien. Ils cherchaient davantage à établir un cadre multilatéral international pouvant leur permettre de partager une part de la responsabilité des échecs des négociations ou, en cas de succès, pouvant apporter un soutien financier et politique.
Les Européens étaient à la recherche d’un rôle politique dans le processus de paix. Ayant réalisé qu’ils ne pourraient pas acquérir ce statut indépendamment des Américains, l’Union européenne a espéré pouvoir les influencer à travers le Quartet.
Les Russes et les Nations unies sont restés passifs. Le rôle de la Russie a été mineur et il ne s’agissait pour elle que d’afficher son statut de puissance internationale. La même analyse peut être faite concernant les Nations unies.
● La poursuite d’agendas distincts et l’instrumentalisation de la question palestinienne au plan interne a longtemps fragilisé toute initiative commune crédible des Etats arabes
Quant aux États arabes, il faut certes saluer la main tendue en 2002 avec l’Initiative arabe de paix adoptée à Beyrouth par les membres de la Ligue arabe. Cependant, la question palestinienne a souvent été instrumentalisée à des fins intérieures et a bloqué toute initiative commune crédible.
Jusqu’en 1967 et la défaite égyptienne lors de la guerre des six jours, la question palestinienne n’était pas une question autonome mais faisait partie intégrante de la plus vaste question de l’indépendance arabe.
Malgré l’autonomisation progressive des Palestiniens à l’égard des « pays frères » voulue par Yasser Arafat et le Fatah, le conflit israélo-palestinien continue à être une question de politique intérieure pour l’ensemble des pays du Proche et Moyen Orient. Chaque pays aspirant au leadership dans la région se doit d’avoir une politique palestinienne. Ainsi Fatah, Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), Front démocratique de libération de la Palestine (FDLP) et plus tard Hamas et Djihad Islamique ont toujours su trouver des parrains puissants en Égypte, en Syrie, en Irak, dans le Golfe et même en Iran.
Aujourd’hui encore, les divisions des États arabes qui poursuivent dans la région leur propre agenda tend à complexifier toute initiative de paix. En effet, l’initiative d’une paix globale avec Israël, comme naguère la guerre, ne peut être que le fait d’un pays capable d’entraîner les autres dans son sillage. Il n’est qu’à rappeler l’exclusion de l’Égypte d’Anouar el Sadate de la Ligue arabe et de la rupture de ses relations diplomatiques avec l’ensemble des autres pays arabes, parce qu’elle avait conclu avec Israël une paix séparée, du fait du « cavalier seul » de son Président mais aussi du front du refus qu’il lui fut opposé notamment par la Syrie d’Hafez el-Assad.
A la suite des « révolutions arabes », plusieurs tentatives de prise de leadership, au sein mais aussi en dehors du monde arabe, se sont fait jour dans la région, avec à chaque fois des conséquences sur les Palestiniens.
La Turquie a apporté son soutien au président égyptien issu des Frères musulmans, Mohamed Morsi, avec comme conséquence un appui, au moins politique, au Hamas. Cette politique a par ailleurs été initiée avant « les révolutions arabes », comme en témoigne l’affaire du Mavi Marmara et de la forte dégradation des relations avec Israël – qui n’a cependant pas affecté les échanges économiques entre les deux pays. La Turquie a trouvé un allié de circonstance avec le Qatar dans son soutien aux Frères musulmans égyptiens et à leur branche palestinienne, le Hamas. En soutenant le Hamas, mouvement qui assume la confrontation avec Israël, ces pays poursuivaient plus des objectifs diplomatiques et de satisfaction de leur opinion publique qu’une quelconque « libération de la Palestine par les armes ». L’Iran, de par son soutien notamment militaire au Hamas comme au Hezbollah, participe à cette même logique. Le cas de l’Égypte est aussi éclairant. À la suite de la chute d’Hosni Moubarak, de l’élection de Mohamed Morsi et de l’arrivée au pouvoir d’une majorité issue des Frères musulmans, le blocus de Gaza a été assoupli puis en partie levé. La bande de Gaza, dominée par le Hamas, a retrouvé pour un temps son lien historique avec l’Égypte, avant d’en être à nouveau coupée avec le changement de régime. Les nouvelles autorités égyptiennes ont renoué avec une politique de méfiance, sinon de lutte, contre l’islamisme politique. La politique égyptienne à l’égard des Palestiniens est donc bien, elle aussi, déterminée par des considérations de politique intérieure.
Selon certains commentateurs, il y aurait eu, avant la crise de cet été, une opportunité d’utiliser l’alignement des intérêts entre Israël et les États arabes comme une base commune pour lancer une initiative similaire à celle de la Conférence de Madrid, en 1991 (un cadre régional plus large qui apporterait son soutien à une négociation bilatérale menée par les États-Unis). Cependant, les crises internes dans les pays arabes ne les ont pas incités à faire preuve de créativité diplomatique.
B. 2015 OU LE NÉCESSAIRE CHANGEMENT DE PARADIGME
La faillite du processus de paix pourrait aujourd’hui entraîner les parties au conflit dans un terrible engrenage : face à l’impasse des négociations, le développement d’une stratégie alternative par les Palestiniens aux Nations unies semble relever d’une mise en scène internationale du conflit, sans œuvrer concrètement à son règlement. S’y ajoutent les contre-réactions israéliennes, qui pourraient peser sur l’équilibre économique, politique et sécuritaire déjà précaire de la Cisjordanie, mais aussi les tensions induites par la poursuite de la colonisation. Il faut aussi craindre une reprise des violences à Gaza, où la situation humanitaire et sécuritaire se dégrade de jour en jour, dans l’indifférence relative de la communauté internationale. Enfin, une forme de radicalisation d’une population n’ayant plus rien à perdre n’est pas à exclure, ce qui est particulièrement inquiétant dans un contexte de dissémination des groupes terroristes dans la région.
Les paramètres de règlement sont connus et font l’objet d’un consensus international. Pourtant l’enlisement du processus de paix, les ambiguïtés de la communauté internationale, l’isolement et la faiblesse des deux parties font douter d’une reprise efficace des pourparlers.
S’il s’agit, non pas seulement de reprendre les négociations, mais d’aboutir à un accord pérenne, un changement de méthode est nécessaire, ainsi qu’une véritable volonté politique. La logique des accords d’Oslo doit être inversée. Il s’agirait de poser au préalable un cadre clair de négociation et d’engager les parties, sous l’égide de la communauté internationale, sur la voie diplomatique, et non celle de la violence.
La France peut ici jouer un rôle d’appui essentiel, et d’interprète du droit international. En tant que membre permanent du Conseil de sécurité, la France peut replacer la question israélo-palestinienne sur la scène onusienne, pour définir un cadre consensuel au niveau international. Entretenant une relation privilégiée aussi bien avec Israël qu’avec les autorités palestiniennes, elle peut rapprocher les vues des différents acteurs, inciter les parties à la négociation et leur offrir des garanties, en matière économique et sécuritaire. La France peut enfin s’appuyer sur les relations privilégiées qu’elle entretient avec certains pays arabes et ses partenaires européens pour promouvoir leur participation plus active à la résolution du conflit.
1. La paix maintenant ou jamais ? Les risques d’un oubli du conflit, l’opportunité de sa résolution, la nécessité d’un changement de paradigme
a. Les risques d’un pourrissement du conflit
● L’adhésion de la Palestine à la Cour pénale internationale pourrait entraîner une dangereuse « logique d’engrenage »
On l’a vu, aussi bien pour maintenir la question palestinienne au cœur de l’agenda international que pour des raisons de politique intérieure, l’Autorité palestinienne poursuit une stratégie alternative aux Nations unies.
Or, les derniers développements de cette diplomatie, marqués par l’adhésion de la Palestine au Statut de Rome (313), pourraient envenimer la situation.
L’adhésion ne devrait prendre effet qu’au 1er avril 2015. Cependant, il faut souligner que Mahmoud Abbas a fait le choix de doubler l’adhésion au Statut de Rome d’une déclaration, immédiatement effective, permettant à la Palestine de reconnaître la compétence de la Cour de manière rétroactive, à compter du 13 juin 2014, date du début de l’opération militaire israélienne en Cisjordanie.
La procureure de la CPI a annoncé, le 16 janvier, l’ouverture d’un examen préliminaire sur des crimes de guerre présumés commis depuis le 13 juin 2014 en Palestine (incluant les deux dernières opérations militaires israéliennes en Cisjordanie et à Gaza). La suite de la procédure n’est pas encore connue et la procureure, estimant que l’évolution du dossier dépendra de la coopération d’Israël et de la Palestine, ne peut pour le moment se prononcer sur un calendrier. En vertu du Statut de Rome, la Cour peut enquêter sur tout crime relevant de sa compétence (crimes de génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre), commis dans les Territoires palestiniens par un Israélien, ou par tout Palestinien, quel que soit le lieu du crime.
Sous réserve que la procureure juge qu’il existe une base raisonnable, la Cour est compétente pour examiner aussi bien les violations commises lors de l’intervention « Bordure protectrice » de l’été, mais aussi sur la colonisation, tout comme des violations commises par des Palestiniens. Israël n’étant pas partie à la CPI, il n’a en théorie aucune obligation de coopérer.
Les effets de cette stratégie sont incertains, en l’absence de perspective de reprise à court terme des négociations, et pourraient envenimer un peu plus le conflit. Au plan interne, la poursuite par la Cour de Palestiniens, membres ou non du Hamas, pourrait entraîner des tensions non négligeables, qui affaibliraient un peu plus l’unité de la direction palestinienne.
Surtout, il est à craindre que la majorité républicaine du Congrès des États-Unis, hostile à la demande d’adhésion à la CPI, ne vote en faveur d’une réduction de l’aide octroyée à l’Autorité palestinienne.
S’y ajoutent les mesures de rétorsion israéliennes : le gouvernement a d’ores et déjà annoncé la suspension du reversement des droits et taxes perçues pour le compte de l’Autorité palestinienne, et une accélération de la colonisation n’est pas à exclure, non plus que le lancement de procédures judiciaires contre des Palestiniens.
Il faut donc à tout prix, comme l’a rappelé récemment Laurent Fabius, éviter une « logique de l’engrenage ».
● Un risque d’autant plus grand que le contexte régional, marqué par la déstabilisation du voisinage du fait des crises syrienne et irakienne et la montée du terrorisme, a radicalement changé
Le risque d’engrenage est d’autant plus inquiétant que le contexte international a changé : le voisinage est déstabilisé par les crises irakienne et syrienne et la montée de Daech. Surtout, Israël, qui depuis sa création, a été impliqué dans des conflits conventionnels, doit aujourd’hui faire face à des menaces sécuritaires d’un autre ordre : infra et supra-étatiques (314).
Au niveau supra-étatique, le motif principal d’inquiétude est aujourd’hui le dossier nucléaire iranien, évoqué précédemment – l’Irak ayant renoncé à la bombe en 1981, la Syrie en 2007. Israël a marqué son opposition à l’accord intérimaire. Un échec total des négociations aurait pour effet de raviver l’option d’une intervention militaire chez les dirigeants israéliens, option qui fait cependant débat au plan interne, car elle entraînerait la région dans une dangereuse escalade.
Au niveau infra-étatique, la principale menace sécuritaire provient de la frontière Nord et de la bande de Gaza. Depuis 2006, la guerre contre le Hezbollah, et trois guerres à Gaza, ont montré que cette menace stratégique était croissante, les protagonistes de mieux en mieux équipés et capables de frapper les villes israéliennes. Or il est difficile pour une armée conventionnelle de s’opposer à une organisation non étatique : non seulement la victoire militaire n’est pas évidente, mais la confrontation provoque une érosion de l’image internationale d’Israël. Il faut également noter que le soutien de l’Iran et de la Syrie au Hamas, qui n’a pas disparu, inquiète Israël.
Au Nord, la crise syrienne inquiète également : un État hier puissant, stable, en relative bonne relation avec son voisin, est désormais en état de déliquescence, menacé de partition, marqué par la forte présence de groupes djihadistes. Certains estiment en Israël que le maintien de Bachar el-Assad est préférable au chaos, d’autres que son maintien conduirait au renforcement de l’axe Iran-Syrie-Russie-Hezbollah. Israël n’est pas impliqué dans le conflit, à l’exception de raids dans le Golan, de frappes contre le Hezbollah et d’interventions humanitaires, mais l’escalade pourrait être rapide.
La montée des tensions avec le Hezbollah est elle aussi particulièrement préoccupante. Le 18 janvier 2015, six membres du Hezbollah ainsi que six Gardiens de la révolution iraniens ont été tués lors d’un raid israélien sur le Golan syrien. Parmi les victimes figurait Djihad Moughniyeh, fils de l’ancien chef des opérations militaires du mouvement libanais, Imad Moughniyeh (315). Le raid israélien a une forte dimension symbolique. Il s’agit du premier général iranien tué par Israël dans un conflit « ouvert », au moment où les négociations avec l’Iran entrent dans une phase décisive. Le fait que l’attaque ait ciblé à la fois des soldats iraniens et des combattants du Hezbollah, en Syrie, insiste en creux sur l’implication importante des Iraniens dans le conflit syrien (316). Cette attaque pourrait « réactiver » un nouveau front du conflit israélo-arabe : le plateau du Golan.
Deux soldats israéliens ont été tués et sept autres blessés lors d’une série d’attaques près de la frontière libanaise le 28 janvier 2015. Il s’agit de l’attaque la plus grave menée par le mouvement libanais contre des soldats israéliens depuis la guerre de l’été 2006. La riposte de l’armée israélienne a été immédiate et l’artillerie a visé des positions du Hezbollah sur le territoire libanais. Dans ces échanges de tirs, un soldat espagnol de la FINUL a été tué. L’Espagne a réclamé une enquête (317). Des pilotes israéliens ont mené, dans la nuit du mardi 28 au mercredi 29 janvier 2015, des raids contre des postes d’artillerie de l’armée syrienne, après des tirs de roquettes sur le territoire israélien, sans que l’on puisse déterminer avec certitude l’origine de ces tirs et leur caractère ou non intentionnel.
La zone est régulièrement touchée par des projectiles venus du côté syrien, où les combats font rage entre l’armée d’un côté et les rebelles et combattants djihadistes de l’autre. Tel-Aviv a en tout cas jugé les frappes délibérées. Le porte-parole de l’armée israélienne a mis en garde les autorités de Damas : « L’armée tient le gouvernement syrien pour responsable de toutes les attaques en provenance de son territoire et prendra toutes les mesures nécessaires pour défendre les citoyens israéliens. »
Des combats sporadiques opposent depuis plusieurs mois l’armée libanaise et le Hezbollah d’un côté aux groupes du Front Al-Nosra et de Daesh de l’autre dans la région de la Bekaa à la frontière avec la Syrie. De nombreuses tentatives d’incursions ont été déjouées mais en cas de conflit avec l’armée israélienne, une intensification de la présence des groupes islamistes radicaux au Liban est à craindre (318). En cas de conflit au Liban, la question se pose de savoir si l’Iran viendrait en soutien au mouvement chiite, faisant peser le risque d’un conflit régional généralisé.
Compte tenu de l’implication militaire du Hezbollah en Syrie et des échéances électorales en Israël, aucun des deux protagonistes ne semble avoir intérêt à une escalade pour le moment. Les Iraniens avaient prévenu, en écho aux déclarations de Hassan Nasrallah, le secrétaire général du Hezbollah, qu’il y’aurait des représailles. Le 30 janvier, lors d’un discours, Hassan Nasrallah a indiqué que si le mouvement « était prêt », il ne « voulait pas la guerre ». De même, bien que Benyamin Netanyahou ait affirmé que l’armée était prête à agir « sur tous les fronts », le contexte préélectoral ne l’incite pas à s’engager dans un conflit ouvert avec le Hezbollah (319) : le conflit de l’été 2006 avait paralysé le Nord du pays et le renforcement militaire du Hezbollah depuis ne garantit pas une victoire militaire rapide aux forces israéliennes.
Si le voisinage au Nord est source d’inquiétudes légitimes, il faut prêter la plus grande attention au Sud, où la dégradation humanitaire et sécuritaire dans la bande de Gaza, doublée de son isolement nourrissent les frustrations et font craindre une reprise des attaques contre Israël, mais surtout une véritable implosion interne.
Le Sinaï est en proie à des luttes violentes entre le régime égyptien et Ansar Bayt al-Maqdis, ayant fait allégeance à Daesh. Les Égyptiens auraient obtenu l’autorisation des Israéliens de faire pénétrer des armes lourdes, en dépit de l’accord de paix de 1979, dans la péninsule, afin de lutter contre le groupe terroriste. Par ailleurs, la ville de Rafah a été évacuée pour créer une zone de sécurité entre Gaza et le Sinaï. Enfin, le 31 janvier, la branche armée du Hamas a été reconnue comme une organisation terroriste par les autorités égyptiennes. (320)
● L’isolement de la bande de Gaza, et l’aggravation de la situation humanitaire, qui se poursuit dans l’indifférence de la communauté internationale, laissent craindre une reprise des violences avec Israël voire une implosion interne
L’isolement de la bande de Gaza se poursuit et constitue une menace, non seulement pour sa population, mais aussi pour l’Égypte et Israël. La gravité de la situation humanitaire, les retards considérables pris dans la reconstruction et l’impasse politique de la direction palestinienne, risquent d’entraîner, à brève échéance, une nouvelle explosion de violence.
Les discussions israélo-palestiniennes, qui devaient se tenir au Caire, ont été reportées sine die, et nul ne semble prêt, ni le Gouvernement israélien, ni le Hamas, ni le Fatah, à les reprendre. Le Hamas poursuit sa propre stratégie d’autonomisation, que de fait le Gouvernement israélien encourage en ne permettant pas une construction suffisamment rapide de la bande de Gaza et en s’opposant aux efforts de réconciliation inter-palestinienne. Il semblerait en effet que le Hamas explore des pistes pour favoriser la formation d’une structure autonome, qui rassemblerait les différents groupes présents à Gaza. Les discussions en cours avec Mohammed Dahlan attestent de la tentation de mettre un point final à la réconciliation inter-palestinienne actée en avril 2014. S’y ajoutent le rapprochement du Hamas et de l’Iran, qui creuse un fossé de plus en plus profond entre la mouvance islamiste et le Fatah.
La situation semble donc reprendre le chemin de ce qu’elle était avant la crise de cet été. Des échanges de tirs de part et d’autre de la barrière de séparation et une multiplication des exercices de tirs de roquettes par les groupes armés à Gaza signalent la possibilité d’une reprise des violences avec Israël. Pour Robert Turner, directeur des opérations de l’UNRWA à Gaza, « la situation étant pire qu’avant le conflit, la population n’a aucune raison de vouloir éviter une nouvelle guerre ».
Surtout, il faut s’inquiéter des risques d’implosion interne. La résilience des habitants de Gaza ne pourra longtemps supporter la dégradation continue des conditions de vie. Le lendemain de l’annonce de la suspension de l’aide de l’UNRWA, le 28 janvier 2015, des manifestants ont pénétré dans les locaux contrôlés par les Nations unies, témoignant de la colère de la population.
L’absence totale d’horizon politique est de nature à pousser une population qui n’a plus rien à perdre à toute forme de violence ou de radicalisation.
La présence de Daesh n’est pour l’heure pas avérée en Cisjordanie ou à Jérusalem, d’une part en raison de la culture de pluralisme et d’ouverture qui caractérise la société palestinienne, d’autre part, car l’Autorité palestinienne parvient à maintenir, de plus en plus difficilement, l’ordre public.
Le pays est cependant exposé au phénomène des combattants terroristes étrangers. Une trentaine d’Arabes israéliens seraient partis combattre en Syrie. Ceux qui sont rentrés en Israël y ont été arrêtés. Le 18 janvier, le Shin Bet a déclaré que 7 d’entre eux, arrêtés en novembre dernier, auraient créé une cellule terroriste liée à Daesh et auraient été sur le point de mener une attaque sur le territoire israélien. Enfin, des actes isolés, mais néanmoins meurtriers ne sont pas à exclure : le 21 janvier 2015, un Palestinien armé d’un couteau a blessé plusieurs civils dans un bus de Tel-Aviv, faisant plusieurs blessés graves.
A Gaza, on peut craindre un renforcement des mouvances salafistes-djihadistes. Le 19 février, une manifestation de près de 200 salafistes portant les drapeaux de Daesh – la première d’ampleur à Gaza – s’est déroulée devant l’Institut français ; le Hamas, qui a toléré l’organisation du rassemblement, l’a toutefois dispersé avant qu’il ne s’approche de l’Institut.
Enfin, il faut souligner que la région n’est pas la seule à être menacée par les effets induits par la perpétuation du conflit israélo-palestinien. Ce conflit, dont il ne faut pas négliger la dimension symbolique, a en effet « une résonance particulière » dans de nombreux pays, y compris le nôtre. Selon Leila Shahid, lors de son audition devant la commission, son non-règlement est de nature à renforcer une violence qui n’aurait plus de frontières.
C’est dans ce contexte que l’Ambassadeur de Palestine en France a fait valoir auprès des membres de la mission les efforts, et les difficultés, de l’Autorité palestinienne, pour défendre la voie pacifique et diplomatique, notamment auprès de jeunes générations qui croient de moins en moins à sa validité. Il a ainsi plaidé pour que la communauté internationale soutienne « cette dynamique d’apaisement et cette stratégie non-violente »et fasse valoir le potentiel immense d’une paix qui ferait du Proche-Orient le « laboratoire » de la stabilité de l’ensemble de la région.
b. La possibilité d’une paix régionale
● La question est moins de savoir si le conflit israélo-palestinien est devenu ou non secondaire que d’identifier les bénéfices de son règlement et les risques de son pourrissement
Comme l’a souligné l’un des interlocuteurs de la mission, « l’affirmation que la question israélo-palestinienne n’est pas le problème central de la région est à l’origine une idée israélienne, mais elle a gagné beaucoup de terrain. Le processus de paix au Proche-Orient n’est pas réellement devenu secondaire, car il y a les efforts de Kerry, mais il y a tout de même une part de vérité dans cette affirmation. Par ailleurs, même une résolution miraculeuse du problème n’aiderait pas à régler les autres dossiers.»
D’autres considèrent au contraire que la puissance symbolique de ce conflit justifie qu’on lui accorde toute notre attention. On peut ainsi citer Alain Gresh, qui juge que « la Palestine est le nom d’une injustice persistante, marquée par une violation permanente du droit international. Enfin, d’une logique de « deux poids, deux mesures », appliquée par les gouvernements, relayée par les Nations unies et théorisée par bon nombre d’intellectuels occidentaux. Au croisement de l’Orient et de l’Occident, du Sud et du Nord, la Palestine symbolise à la fois le monde ancien, marqué par l’hégémonie du Nord, et la gestation d’un monde nouveau fondé sur le principe de l’égalité entre les peuples. » (321)
La question n’est pas en réalité de savoir si ce conflit est ou non devenu secondaire, ou si son règlement permettrait un déblocage miraculeux d’autres dossiers, ce qui est effectivement peu probable.
En revanche, il est essentiel de rappeler que ce conflit se situe au cœur d’un Proche et Moyen-Orient en pleines crises et recompositions. Les mutations à l’œuvre dans cette région, si elles peuvent l’entraîner dans le chaos le plus total, peuvent aussi faciliter un accord de paix entre Israël et la Palestine.
● Des recompositions régionales qui peuvent être favorables au règlement du conflit israélo-palestinien
La disparition en tant qu’acteurs de la Syrie et de l’Irak n’a aucune raison de ne pas toucher d’autres pays et Israël court un véritable risque de se retrouver aux prises avec des groupes de plus en plus violents et de plus en plus proches de ses frontières. De plus, l’hypothèse d’une réintégration de l’Iran dans le jeu des puissances régionales pourrait avoir des conséquences majeures pour les protagonistes du conflit.
En effet, si le dossier du nucléaire iranien disparaît de l’agenda politique, il pourrait ouvrir la possibilité d’une réintégration de l’Iran au sein du leadership régional, aux côtés de puissances sunnites comme l’Arabie saoudite, ce qui pourrait contribuer à la résolution de la crise syrienne. La prochaine étape pourrait alors être un effort coordonné des pays arabes en faveur d’une reconnaissance de l’État de Palestine, fondée sur l’Initiative arabe de paix soutenue par la Ligue arabe.
La paix avec ses voisins arabes, dont un Etat de Palestine, constituerait une assurance pour Israël face aux menaces terroristes qui agitent la région. Cela induirait de plus une redéfinition de la géopolitique régionale en donnant un regain de force à certains États face à la volonté de leadership turc et surtout iranien.
On peut penser que ni les États-Unis, ni l’Europe ne seraient défavorables à un tel accord. Les États-Unis pourraient vouloir s’appuyer sur la convergence objective d’intérêts entre Israël, l’Égypte, la Jordanie et les États du Golfe, notamment l’Arabie saoudite, pour réduire leur implication directe – le terme de désengagement serait excessif – au Proche et Moyen-Orient. On peut pousser le raisonnement jusqu’à l’hypothèse d’une nouvelle alliance sunnite qui inclurait l’Autorité palestinienne. Ainsi, selon Federica Mogherini, « la situation créée par Daesh va aboutir à tester la volonté politique des pouvoirs en place, y compris ceux de Palestine et d’Israël. »
La Ligue arabe devrait, lors du sommet de Charm-el-Cheikh de mars 2015, réaffirmer et opérationnaliser l’Initiative arabe de paix. Ce sera le premier sommet de la Ligue depuis la mort du roi Abdallah. Une initiative coordonnée de l’Égypte et de l’Arabie saoudite pourrait ainsi être envisagée, aussi bien pour des motifs de politique intérieure que d’intérêts stratégiques.
Rappelons que c’est en effet l’Arabie saoudite qui avait, en 2002, été à l’origine de l’Initiative arabe de paix. Ajoutons que le principal adversaire régional de l’Arabie saoudite, que ce soit en Irak, en Syrie, au Yémen mais aussi sur son propre territoire auprès des 10 % de chiites saoudiens, est l’Iran. Par ailleurs, des liens rétablis avec l’Iran, un début de réconciliation avec le Qatar, et la préservation de liens étroits et d’intérêts sécuritaires communs avec Israël placent également l’Egypte en position de médiateur entre Israël et le monde arabe. Le régime égyptien est de son côté engagé dans une lutte existentielle avec les Frères musulmans dont le Hamas, soutenu par l’Iran, est la branche palestinienne. Une initiative de paix qui marginaliserait le Hamas au profit de l’Autorité palestinienne et du Fatah pourrait trouver un écho favorable auprès des Egyptiens. Lors d’un discours à Davos, en janvier 2015, Abdel Fattah al-Sissi a invoqué le souvenir d’Anouar el-Sadate et plaidé pour un rôle actif de l’Egypte dans la résolution du conflit israélo-palestinien. Si nous parvenons à un accord de paix, a-t-il déclaré, c’est un nouveau Moyen-Orient qui verra le jour, permettant de mettre fin au terrorisme et de rétablir la stabilité dans la région. (322)
● Israël pourrait compter sur des alliés objectifs dans la région dans le cadre d’un accord global de paix
L’Ambassadeur d’Israël en France, lors de son audition par la mission, estimait qu’il existait « de nombreux motifs d’espérer : la conclusion du traité de paix avec l’Égypte, les bonnes relations que nous entretenons avec la Jordanie, le fait que nous tentions de parvenir à un accord avec les Palestiniens. » Il a plaidé pour que la communauté internationale porte un regard neuf sur le Proche et le Moyen-Orient, où s’affrontent les forces modérées et les mouvements extrémistes.
Selon le journaliste israélien Akiva Eldar, si les résultats des élections marquent une inflexion politique du Gouvernement israélien, celui-ci pourrait découvrir qu’un gel de la colonisation, une levée à certaines conditions du blocus sur Gaza, et le lancement de négociations sérieuses sur la base de l’Initiative arabe de paix pourraient ouvrir les portes d’Israël à l’ensemble du monde arabo-musulman (323).
Un maintien du statu quo des négociations de paix pourrait au contraire renforcer l’isolement d’Israël. Selon Akiva Eldar, les aléas qui ont affecté ces derniers mois la relation entre la Maison Blanche et Benyamin Netanyahou, dont la polémique suscitée par son projet d’allocution devant le Congrès américain à l’invitation de son président John Boehner (324), menacent de placer le Premier ministre israélien en position d’outsider.
Quatre axes régionaux sembleraient se dégager aujourd’hui : l’Iran et sa sphère d’influence, l’Irak, la Syrie et le Hezbollah au Liban ; le Qatar et la Turquie et les soutiens aux Frères musulmans y compris le Hamas à Gaza ; l’Arabie saoudite et ses alliés du Golfe, l’Égypte et la Jordanie ; l’axe djihadiste, composé de Daesh, Al-Qaida et leurs affiliés dans la région.
Selon Itamar Rabonovitch, trois de ces axes peuvent être considérés comme demeurant hostiles à Israël, en premier lieu l’Iran. La Turquie constitue un adversaire critique avec lequel cependant les liens économiques devraient se maintenir. Le Qatar a modéré son soutien aux Frères Musulmans, notamment sous la pression du Conseil de coopération du Golfe. Israël serait à la fois inquiet de ses liens avec le Hamas et désireux de ne pas fermer la porte à un acteur régional malgré tout influent. Surtout, les autorités israéliennes partagent les inquiétudes saoudiennes vis à vis de la volonté d’affirmation de l’Iran, la même crainte d’une montée en puissance des salafistes djihadistes et des Frères musulmans que l’Égypte, et les mêmes intérêts sécuritaires objectifs que la Jordanie, elle-même déstabilisée par la crise syrienne et irakienne. Il souligne par conséquent l’existence d’unealliance objective entre ces pays qu’il qualifie de « conservateurs modérés » et Israël, sur lesquels ce pays pourrait compter dans le cadre d’un accord global de paix.
c. La nécessité d’un changement de paradigme des négociations
● Le paradigme actuel a échoué à régler le plus vieux conflit de la région : le processus est devenu un « obstacle à la paix »
Selon Avraham B. Yehoshua, écrivain israélien, le processus de paix est devenu un « obstacle à la paix », où la rhétorique revêt plus d’importance que l’action, quand elle ne dissimule pas des actes s’opposant clairement à la paix. Le processus, dit-il, « inspire une patience devenue une passivité absolue ». Or rien ne serait plus terrible, pour les Israéliens, comme pour les Palestiniens qu’une perte totale de crédibilité des pourparlers, car seules les négociations permettront d’aboutir à une paix durable.
On ne compte plus les réunions, proclamations solennelles, tentatives diplomatiques, depuis les célèbres accords d’Oslo, qui ont marqué l’acte de naissance officielle de ce processus, comme le rappelle l’encadré présenté ci-dessous.
Le processus de paix israélo-palestinien depuis les accords d’Oslo (1993)
Les accords d’Oslo (13 septembre 1993) : après six mois de négociations secrètes à Oslo, Israël et l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) se reconnaissent mutuellement et signent à Washington une Déclaration de principes sur une autonomie palestinienne transitoire de cinq ans. Le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin et le Président de l’Autorité palestinienne Yasser Arafat échangent une poignée de main historique.
L’accord d’Oslo II (28 septembre 1995) : signé à Washington, il prévoit une série de retraits israéliens.
L’accord de Wye Plantation (23 octobre 1998) : signé aux États-Unis à Wye Plantation, il prévoit les modalités d’un retrait israélien de 13% de la Cisjordanie.
Le Sommet de Camp David II (11-25 juillet 2000) : aux États-Unis, dans la résidence de Camp David du Président Bill Clinton, le Premier ministre israélien Ehoud Barak et le Président de l’Autorité palestinienne Yasser Arafat sont invités à discuter du problème de Jérusalem et des réfugiés. Les négociations échouent. Deux mois plus tard, la seconde Intifada éclate (2000-2005).
Les discussions de paix à Paris (Octobre 2000) : une réunion entre la secrétaire d’Etat américaine Madeleine Albright, Ehoud Barak et Yasser Arafat est organisée à Paris, mais elle ne permet pas le retour au calme.
Le Sommet de Taba (21 janvier 2001) : Palestiniens et Israéliens entreprennent des négociations à Taba en Egypte pour tenter de parvenir à un accord de paix avant dix jours. Mais Ariel Sharon est élu Premier ministre de l’Etat d’Israël le 6 février et il succède à Ehoud Barak.
Le Sommet arabe de Beyrouth (28 mars 2002) : le sommet adopte l’Initiative de paix saoudienne (normalisation des relations des pays arabes avec Israël en échange d’un retrait des territoires occupés et du règlement de la question des réfugiés palestiniens).
La « Feuille de Route » du Quartet pour le Moyen-Orient (17 septembre 2002) : un plan par étapes devant conduire d’ici 2005 à la création d’un Etat palestinien est élaboré par les Etats-Unis, la Russie, l’Union européenne et les Nations unies. La « Feuille de Route » est remise au Premier ministre israélien Ariel Sharon et au Premier ministre palestinien Mahmoud Abbas, le 30 avril 2003. Le document demande le gel de la colonisation par Israël et la fin des violences.
Le Projet « La Voix du Peuple » (6 septembre 2003) : Israéliens et Palestiniens présentent au Parlement européen un plan de paix. Le projet baptisé « La Voix du Peuple » reconnaît l’existence de deux Etats pour deux peuples comme base de tout règlement du conflit.
L’Initiative de Genève (12 octobre 2003) : une cinquantaine d’intellectuels, de pacifistes et d’hommes politiques israéliens et palestiniens rédigent en Jordanie un pacte symbolique, baptisé « Initiative de Genève », pour relancer les négociations de paix.
Sommet de Charm El-Cheick (8 février 2005) : en Egypte, Ariel Sharon et Mahmoud Abbas annoncent la fin des violences entre Israël et les Palestiniens. La Jordanie et l’Egypte décident le retour de leur ambassadeur en Israël, après plus de quatre ans d’absence décidée en raison de la répression de l’Intifada.
Le Plan de désengagement (12 septembre 2005) : Israël se retire de la bande de Gaza après 38 ans d’occupation, conformément au plan de désengagement unilatéral du Premier ministre Ariel Sharon.
La Conférence d’Annapolis (27 novembre 2007) : aux Etats-Unis, Israéliens et Palestiniens conviennent de tenter de parvenir à un accord de paix d’ici à la fin 2008.
La reprise des pourparlers indirects (8 mai 2010) : l’Autorité palestinienne accepte le principe de pourparlers indirects avec Israël sous l’égide des Etats-Unis, qui commencent le lendemain (les Palestiniens avaient refusé de poursuivre les négociations suite à l’opération israélienne « Plomb durci » du 27 décembre 2008).
La reprise des pourparlers directs (2 septembre 2010) : Israéliens et Palestiniens reprennent les négociations, lesquelles s’ouvrent « sans conditions préalables » (position voulue par Israël et acceptée par Mahmoud Abbas qui, sous la pression américaine, a renoncé à exiger d’Israël l’acceptation d’un Etat palestinien dans le cadre des frontières de 1967 et l’arrêt total de la colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est). Israël reprend la colonisation quelques mois plus tard.
La reprise des négociations (juillet 2013): sous l’égide des États-Unis, les discussions directes, gelées depuis trois ans, entre Israéliens et Palestiniens reprennent, et, à nouveau, échouent.
La multiplication de ces initiatives n’a donné aucun résultat, malgré un consensus général sur les paramètres de règlement du plus ancien conflit de la région. Comment expliquer ce paradoxe ? Le processus de paix ne serait-il devenu qu’un simple discours, une rhétorique de paix dans un état de guerre ? Ou bien s’agit-il d’un problème de méthode ?
Il faut accepter le constat, certes difficile, de l’incapacité du processus de paix, tel qu’il était conduit jusqu’à présent, à déboucher sur un règlement effectif de la question.
Ce processus repose sur trois piliers : une négociation bilatérale entre Israéliens et Palestiniens, notamment l’OLP ; une médiation par les États-Unis, perçus comme les seuls à avoir la confiance d’Israël et les leviers sur ce pays ; un financement par des acteurs tiers, dont l’Union européenne, les Nations unies et les pays arabes.
Dans ce schéma, le Conseil de sécurité a été marginalisé par les États-Unis, qui considèrent l’implication de celui-ci comme contradictoire avec le principe selon lequel il revient aux deux parties de négocier, et non de se voir imposer, un accord. L’Union européenne s’est plus ou moins volontairement marginalisée dans le règlement politique du conflit.
Enfin et surtout, la négociation a toujours été menée selon un angle bilatéral, sans prendre en compte le problème de façon globale, comme la partie d’un tout régional à stabiliser.
● Un consensus se dégage sur la nécessité de changer de méthode : fixer le cadre des négociations par une résolution du Conseil de sécurité, multilatéraliser le conflit en associant un Quartet élargi aux pays arabes, inciter les parties à négocier
S’il est évident que la responsabilité des arbitrages ultimes et des concessions historiques revient aux protagonistes du conflit, la communauté internationale doit accompagner le processus de manière active, et, surtout, selon une nouvelle méthode.
Les deux parties auront beaucoup de mal à parvenir à un accord s’ils restent seuls, même avec l’aide des États-Unis. Cette triangulaire a désormais vécu, il faut imaginer un autre format de négociations. Votre rapporteure estime que les États-Unis doivent à tout le moins admettre la nécessité d’inscrire les négociations dans un cadre multilatéral et de remettre le droit international au cœur des pourparlers.
Certes, Israël a une préférence pour la discussion bilatérale, sous égide américaine, et il serait hors de propos de nier le rôle central des États-Unis dans les négociations. Il faudra aussi prendre en compte la méfiance des Palestiniens à l’égard de tout ce qui les diluerait dans un front « arabe » alors que leur autonomisation a été le combat d’une vie pour la génération d’Arafat et d’Abbas. De leur côté, les Américains se sont toujours montrés réticents à un abandon du format classique des négociations, soulignant le risque d’un durcissement des positions des acteurs, craignant peut-être de perdre leur leadership.
Ils pourraient aujourd’hui, cependant, ne pas être défavorables à un changement de paradigme, eux qui, sans faire à ce stade de proposition de relance après les élections israéliennes, ont indiqué leur intention de travailler à un projet de résolution au Conseil de sécurité.
Le 26 janvier 2015, le Quartet a de son côté publié une déclaration appelant à reprendre des négociations et à impliquer étroitement les États arabes.
Enfin, lors d’une réunion extraordinaire tenue le 15 janvier 2015 pour évoquer les suites des démarches palestiniennes à l’ONU, la Ligue arabe a affirmé l’importance de poursuivre des démarches au Conseil de sécurité. Les pays arabes ont toujours affirmé souhaiter une position globale (c’est son cavalier seul qui a été reproché à Sadate en 1977), sans jamais respecter ce principe.
Il semble donc qu’un consensus se dégage sur la nécessité de modifier le paradigme des négociations, en réintroduisant notamment le Conseil de sécurité au cœur de la résolution du conflit et en associant les pays du Quartet et les pays arabes à la reprises des négociations.
On peut estimer qu’il y a une fenêtre d’opportunité, compte tenu du fait que John Kerry et l’Amérique sont échaudés par les échecs répétés des tentatives de médiation du Secrétariat d’État. Il y a de la part de Washington la volonté, dans une certaine mesure, de mutualiser les risques d’une renégociation, ainsi que sa responsabilité. Enfin, Barack Obama, libéré des contraintes électorales, pourrait vouloir laisser sa marque dans l’histoire. Quant aux deux protagonistes, ils sont trop faibles et trop divisés pour parvenir seuls à un accord de paix.
2. Éviter les écueils d’Oslo : remettre le Conseil de sécurité au cœur du règlement du conflit, rééquilibrer les négociations en associant davantage l’Union européenne et s’appuyer sur l’Initiative arabe de paix
a. Remettre le droit international et le Conseil de sécurité au cœur de la résolution du conflit
Comme l’a souligné Laurent Fabius devant le Sénat (325), « une intervention d’un autre ordre est indispensable : une autorité internationale, le Conseil de sécurité des Nations unies, par exemple, doit intervenir. »
Mahmoud Abbas a proposé fin 2014, à New York, un projet de résolution qui avait peu de chance d’être adopté. Avant que les Palestiniens ne reprennent seuls l’initiative d’un texte qui se heurterait au veto américain et provoquerait une crispation israélienne, il est possible de faire une proposition qui pourrait recueillir le consensus. Ce serait là une petite révolution diplomatique et une inversion de la logique d’Oslo : la fixation préalable des paramètres de la négociation, garantie par toute la force du droit international, et toute la légitimité d’une décision collective.
Il faut remettre la question israélo-palestinienne au cœur du Conseil de sécurité, trop marginalisé dans le règlement du conflit. La reprise des négociations doit s’appuyer sur des paramètres clairs – pour la plupart connus et partagés par les parties, et un calendrier précis.
La logique de ce texte, qui pourrait être porté par la France, serait celle d’un accompagnement international des négociations au moyen d’une résolution du Conseil de sécurité, comportant trois éléments clés : la définition au niveau du Conseil des paramètres d’un règlement, qui reprennent largement les paramètres européens ; la relance des négociations dans le cadre d’une méthode renouvelée, impliquant aux côtés des États-Unis les autres membres permanents du Conseil, l’Union européenne et la Ligue arabe ; la recherche ou l’imposition d’un calendrier. La résolution proposée en décembre par les Palestiniens prévoyait un retrait des territoires occupés à échéance de deux ans. Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne sont plus réservés concernant l’introduction d’un délai. La France pourrait proposer une solution équilibrée, prévoyant une fin des négociations deux ans après l’adoption éventuelle d’une résolution.
Ce serait l’honneur de la France que de prendre une telle initiative et de travailler à un texte consensuel. Elle peut le faire, du fait de son statut de membre permanent du Conseil de sécurité, d’un rôle historique de trait d’union entre les mondes, de promoteur du dialogue interculturel et de puissance inclusive. Elle peut aussi le faire au nom de l’amitié profonde qui la lie aux deux peuples israélien et palestinien.
Il y a des raisons d’espérer. Le Conseil est aujourd’hui plus favorable à une initiative et des États comme l’Espagne ou la Nouvelle Zélande sont proches des positions françaises, de même que les représentants européens du Conseil, à commencer par la Grande-Bretagne, qui sont soucieux de trouver une voie de sortie par le Conseil à travers une démarche collective.
Nos partenaires européens peuvent, et doivent, être convaincus de porter la voix singulière de l’Europe au Conseil de sécurité, une position qui devrait être à la hauteur de leur responsabilité historique à l’égard des origines de ce conflit, et de sa perpétuation.
La position des États-Unis pourrait évoluer. Certes, ils craignent d’être dessaisis du dossier israélo-palestinien et sont sensibles à la pression de leurs partenaires israéliens. Mais les Américains ne pourraient opposer leur veto à une proposition consensuelle sans mettre en danger leur relation avec les pays arabes, avec lesquels ils sont engagés dans la lutte contre le terrorisme.
La Jordanie, représentant les pays arabes au Conseil de sécurité, et qui doit ménager ses bonnes relations avec les États-Unis tout en jouant le rôle d’appui attendu des Palestiniens, pourrait soutenir un texte équilibré.
b. Réintroduire l’Union européenne aux côtés des États-Unis dans le règlement politique du conflit
Le rôle de l’Union européenne dans les négociations a été amoindri du fait des divisions entre États membres et d’une certaine incapacité à utiliser les leviers, notamment économiques, dont elle dispose pour inciter les parties au conflit à négocier. Que ce soit par difficulté à s’entendre sur une position commune, du fait de la poursuite d’agendas nationaux différents, ou par manque de volonté politique, l’Europe a laissé les États-Unis assumer seuls la responsabilité de la reprise et de la conduite des négociations.
L’Union européenne tend ainsi à être perçue dans la région au mieux, comme un bailleur de fonds, et au pire, comme un complice de la poursuite illégale de la colonisation dans les territoires palestiniens. Elle peine à être identifiée comme un acteur politique autonome doté d’une ligne claire et d’une aptitude à agir.
L’Europe doit parvenir à s’imposer, aux côtés des États-Unis, comme un interlocuteur crédible dans une région qui lui est proche historiquement et géographiquement, où ses intérêts stratégiques sont immenses, et dont la déstabilisation constitue une menace directe.
L’Union a défini ses propres paramètres de résolution du conflit dans les conclusions du Conseil de décembre 2009 et décembre 2010. Ils convergent largement avec ceux des Américains. Une action concertée des États-Unis et de l’Union européenne peut rééquilibrer le cadre des négociations et faciliter leur reprise en offrant des assurances solides à Israël et à la Palestine. Il ne faudra en effet, non pour reprendre seulement les négociations, mais pour les voir enfin aboutir, rien de moins que la force conjuguée des Etats-Unis et de l’Europe réunis.
L’Europe doit enfin se mette à exister et que ses membres éminents aient le courage de se mettre à parler d’une voix commune. Non seulement l’Union a un intérêt à agir en la matière, mais elle en a aussi les moyens, comme l’a récemment rappelé Federica Mogherini, Haute représentante de l’Union européenne, dont la position sur ce dossier semble être plus volontariste que celle de Catherine Ashton. Elle qui a choisi, symboliquement, de se rendre en Israël et en Palestine après sa nomination, a en effet déclaré que « l’Europe ne peut être éternellement le payeur sans jouer un rôle politique » et ajouté « en réalité, l’important pour moi n’est pas que d’autres États, européens ou non, reconnaissent la Palestine. Je serais heureuse si, au terme de mon mandat, l’État palestinien existait. »
La Haute représentante propose de « forger une stratégie, une vision et une politique communes », d’« utiliser le potentiel politique de l’Union dans cette région pour favoriser une approche concertée, incluant la question de la Palestine et des relations entre le monde arabe et Israël ». Selon elle, plusieurs éléments distincts se mêlent : le processus de paix, l’action de Daesh, les conflits en Irak et en Syrie, la situation du Liban, de la Jordanie, de l’Égypte, voire de la Turquie. L’Union européenne, qui se conçoit désormais comme une puissance régionale, ayant vocation à veiller sur la stabilité de son voisinage, a une vision compréhensive de ces dossiers, et doit davantage s’impliquer dans la résolution du conflit, même si les États-Unis jouent naturellement un rôle.
Certes, le consensus européen est difficile à bâtir. Ainsi, les Allemands traditionnellement plus proches de la position américaine, ont voté contre la proposition de résolution au Conseil de sécurité en décembre 2014, en faveur de laquelle la France s’est exprimée, quand la Grande-Bretagne s’est abstenue.
Le vote conjoint de la France, de l’Allemagne et de la Grande-Bretagne, en faveur de la résolution de 2011 au Conseil de sécurité, a déjà montré la capacité des Européens à s’entendre. S’y ajoutent le vote de certains Parlements nationaux, précédemment évoqué, en faveur de la reconnaissance d’un État de Palestine et d’une reprise immédiate des négociations. Il existe des points d’accord sur lesquels il est possible de s’appuyer pour parler d’une voix commune.
La France peut contribuer à réintroduire l’Europe dans le jeu diplomatique, œuvrer au rapprochement des positions de ses divers partenaires européens, et nouer un dialogue étroit avec l’Allemagne et la Grande-Bretagne pour promouvoir un nouveau cadre de négociations, qui s’appuierait sur une résolution du Conseil de sécurité fixant le cadre des pourparlers et associant les États arabes.
L’action conjuguée de l’Europe et des États-Unis peut être cruciale pour inciter les parties à reprendre des pourparlers de paix.
Prise dans son ensemble, l’Union européenne est le premier partenaire commercial d’Israël, devant les États-Unis. L’Europe est le premier exportateur vers Israël, avec près de 30 % de parts de marché, et le premier importateur de produits israéliens – 32 % des exportations. Les échanges commerciaux entre l’Union et Israël s’élevaient à environ 29 milliards d’euros en 2013.
Les relations économiques entre l’Union européenne et Israël n’ont cessé de progresser depuis le premier accord de libre-échange, signé en 1975. En 1995, un accord d’association est signé avec Israël – qui a acquis un « statut spécial » lors du Conseil européen d’Essen, en 1994. Une nouvelle étape a été franchie en 2004 avec la signature du « plan d’action » de l’Union pour Israël dans le cadre de sa politique de voisinage. (326) Ce statut particulier s’exprime aussi dans le secteur scientifique, comme le montre la signature, en juin 2014, de l’accord d’association d’Israël au nouveau cycle Horizon 2020 (327).
Les États-Unis, qui sont liés par un accord de libre-échange avec Israël depuis 1985, sont quant à eux les deuxièmes importateurs (22 %) et exportateurs vers Israël (environ 12 % de parts de marché – en diminution par rapport à 20 % de parts de marché il y a une quinzaine d’années). Mais la majeure partie du soutien américain est aujourd’hui de nature militaire, que ce soit en termes financiers ou de coopération poussée en matière de recherche et développement. Depuis 1945, les États-Unis ont accordé 121 milliards de dollars d’aide à Israël dans le cadre de leur aide bilatérale – ce qui en fait le premier bénéficiaire de l’aide américaine devant l’Égypte. En 2014, l’aide militaire extérieure américaine à Israël s’est élevée à plus de 3 milliards de dollars (328).
En 2007, les deux pays ont conclu un accord pour dix ans, prévoyant une aide militaire de 30 milliards de dollars sur la période 2009-2018. Une partie de cette aide est spécifiquement destinée au développement de projets militaires tels que « Dôme de fer » ou le programme « Fronde de David ». Au-delà de cette aide militaire, les États-Unis fournissent une aide financière à Israël, en se portant garant des prêts israéliens – à hauteur de 3,8 milliards de dollars en 2014. Les Israéliens n’ont pas eu besoin d’utiliser cette garantie depuis 2004 mais le maintien de ce programme renforce la crédibilité financière du pays et améliore ses capacités d’emprunt sur les marchés financiers.
Les États-Unis et l’Union européenne sont également les premiers bailleurs de fonds des autorités palestiniennes. L’aide américaine aux Palestiniens poursuit un triple objectif : empêcher les actions terroristes contre Israël, encourager la stabilité afin d’orienter les Palestiniens vers la solution des deux États et répondre aux besoins humanitaires.
Depuis le milieu des années 1990 (329), le total de l’aide bilatérale cumulée fournie par les Américains aux Palestiniens représente environ 5 milliards de dollars. Cette aide bilatérale comprend chaque année généralement d’un côté 200 millions de dollars prodigués par l’Agence américaine pour le développement international (USAID), et d’un autre côté 200 millions de dollars versés directement au budget de l’Autorité palestinienne. Enfin, entre 70 et 100 millions de dollars sont destinés à la lutte contre le trafic de drogue. L’aide bilatérale devrait représenter 441 millions de dollars en 2015.
Au-delà de cette aide bilatérale, les États-Unis sont également le plus important contributeur à l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient (UNRWA). La contribution américaine à l’UNRWA en 2014 s’est élevée à 251 millions de dollars.
L’Union européenne est quant à elle la première source internationale d’aide humanitaire et économique pour les Territoires palestiniens, auxquels elle a consacré plus de 400 millions d’euros en 2013. Sur cette aide, 170 millions sont versés sous forme d’appui financier direct à l’Autorité palestinienne dans le cadre du mécanisme PEGASE. Ce programme permet notamment à l’Autorité palestinienne de financer le traitement des fonctionnaires et le fonctionnement de services publics essentiels. Une autre partie de cette aide est versée via l’Office de l’aide humanitaire et de la protection civile de la Commission européenne (ECHO), qui a consacré 35 millions d’euros en 2013 à des secteurs tels que la coordination humanitaire, l’aide judiciaire et la réponse d’urgence aux démolitions et aux expulsions.
L’aide versée par les États-Unis à Israël n’a jamais été gelée contrairement à ce qui a pu être le cas pour d’autres pays. Ainsi, l’Égypte a vu son aide militaire « re-calibrée » après la destitution de Mohamed Morsi. Le niveau de soutien apporté à Israël n’est pas lié à l’avancement du processus de paix et n’est pas utilisé ni considéré comme un moyen pouvant favoriser une recherche de solution au conflit. Néanmoins, de fortes tensions ont pu surgir à propos de la garantie sur les prêts israéliens en 1991. Le président Bush avait alors voulu s’assurer que la garantie de prêt de 10 milliards de dollars ne servirait pas à financer des colonies dans les territoires occupés. (330) En revanche, l’aide accordée aux Palestiniens est versée sous conditions. Il est prévu que l’Autorité palestinienne ne pourra plus bénéficier de l’aide américaine si elle obtient un statut équivalent à celui de pays membre – ou si elle devient un pays membre à part entière – aux Nations unies ou dans ses institutions spécialisées si cette adhésion s’effectue en dehors d’un accord négocié avec l’État d’Israël. Cette restriction ne concerne pas l’adhésion palestinienne à l’UNESCO. L’aide à destination de l’Autorité palestinienne risque d’être gelée (331)du fait de l’adhésion palestinienne à la Cour pénale internationale.
Les États-Unis et l’Union européenne peuvent, de manière complémentaire, s’appuyer sur de solides liens historiques et de profondes amitiés nouées avec les deux peuples israélien et palestinien, mais aussi sur des relations économiques et politiques étroites, pour ne pas dire privilégiées, avec les deux parties au conflit, pour les inciter plus fermement à reprendre les négociations.
Il ne s’agit pas ici d’imposer la paix, car la paix ne s’impose pas, mais d’inciter à la négociation d’une part, et, d’autre part, de garantir les conditions de la paix, aussi bien au plan sécuritaire, économique et social que politique.
L’adoption, en juillet 2013, au niveau européen, de lignes directrices relatives à l’éligibilité des entités israéliennes établies dans les territoires occupés par Israël depuis 1967, et des activités qu’elles y déploient, aux subventions, prix et instruments financiers financés par l’Union à partir de 2014, a marqué une inflexion. Désormais, les entités israéliennes basées dans les territoires palestiniens, ou qui ont des liens avec eux, sont exclues des programmes d’aide européens et notamment du programme Horizon 2020. C’est une décision inédite, qui permet à Bruxelles de condamner l’occupation.
Surtout, cette décision, ainsi que des fuites faisant état des réflexions engagées par les services de Catherine Ashton relatives à l’étiquetage des produits en provenance des colonies, n’ont pas été étrangères à la reprise des négociations entre Mahmoud Abbas et Benjamin Netanyahou.
Cet épisode a montré que, si les États-Unis demeurent l’épine dorsale des négociations bilatérales entre Israël et la Palestine, l’Union européenne peut elle aussi peser de tout son poids pour convaincre les deux partenaires de reprendre les pourparlers.
La France peut ainsi plaider en faveur d’une action plus ferme de l’Union européenne, aux côtés des États-Unis, en qualité de premier partenaire économique d’Israël et premier pourvoyeur de fonds des territoires palestiniens, pour inciter les deux parties à négocier.
c. Organiser une conférence internationale réunissant l’ensemble des parties concernées et promouvant une paix globale assise sur l’initiative arabe de paix
Laurent Fabius a, en novembre 2014, insisté sur le souhait de la France « d’entraîner à la fois l’Union européenne, la Ligue arabe, les membres permanents du Conseil de sécurité, dont les États-Unis, dans une mobilisation collective en faveur de la paix au Proche-Orient. » Il a ainsi proposé l’organisation d’une conférence internationale, « afin d’appuyer cette dynamique indispensable », et précisé que la France était « disposée à en prendre l’initiative.»
Une conférence internationale peut produire une dynamique nouvelle pour sortir de l’impasse.
Tous les pays concernés doivent y être associés directement : les États-Unis, l’Union européenne, la Russie, les pays arabes et la Turquie, un Quartet renouvelé dans sa composition et ses buts, doivent soutenir avec fermeté et générosité les efforts des négociateurs.
Le Quartet, dont la composition devrait être élargie (Égypte, Arabie Saoudite, Jordanie, mais aussi Qatar et Turquie, ont un rôle à jouer dans la médiation), n’a pas vocation à être un organe décisionnaire. Cependant, dans la perspective de la préparation de cette conférence, il serait utile en tant que groupe de contact, et comme laboratoire permettant de tester les positions internationales.
Il convient surtout d’éviter l’une des erreurs majeures de Camp David : l’absence d’association des pays arabes aux négociations. Il sera, en effet, difficile sinon impossible, de garantir la sécurité d’Israël sans un cadre plus large impliquant les pays arabes, qui semblent prêts à faire ce pas historique.
Une approche régionale du conflit doit être promue, en réactivant l’Initiative arabe de paix de 2002 et en retrouvant, par une négociation globale, l’esprit de la conférence de Madrid de septembre 1991 (332).
L’Initiative arabe de paix, dont le texte figure dans l’encadré ci-dessous, a été approuvée par la Ligue arabe au sommet de Beyrouth en 2002 et réitérée en 2007 au sommet de Riyad.
Elle prévoit la conclusion d’un accord de paix avec Israël, la normalisation des relations d’Israël avec l’ensemble des pays arabes et la reconnaissance de la fin du conflit, en échange d’un retrait des territoires occupés, d’une solution juste et agréée au problème des réfugiés sur la base de la résolution 194 et de la reconnaissance de Jérusalem-Est comme capitale du futur État de Palestine.
L’Arabie saoudite en avait été à l’origine. L’Égypte et la Jordanie étaient alors en paix avec Israël. La Syrie vivait encore sur les illusions du « printemps de Damas » à la suite de la mort de Hafez el-Assad et de son remplacement par son fils Bachar. Certes, le contexte régional a changé, mais l’Initiative arabe de paix garde toute sa pertinence et mérite plus que jamais d’être réactivée comme base de travail.
Les paramètres de résolution du conflit mis en avant dans cette initiative ont été précisés en avril 2013, dans la perspective de la relance des négociations par John Kerry. Une délégation de la Ligue Arabe s’est alors rendue à Washington et a réitéré le soutien de la Ligue à la solution des deux Etats, fondée sur les lignes de 1967, tout en admettant pour la première fois des échanges limités de territoires.
La Ligue arabe a encore rappelé son attachement à l’Initiative arabe de paix lors de la Ministérielle du 29 novembre 2014.
Enfin, lors des discussions au Conseil de sécurité, fin 2014, sur le projet de résolution palestinien, le groupe arabe a endossé un projet de résolution comprenant des paramètres de résolution du conflit plus précis et conformes à ceux agréés au niveau européen.
L’Union européenne, qui soutient cette initiative, y a fait plusieurs fois référence dans ses conclusions du Conseil Affaires étrangères. Ainsi, à l’occasion lors du Conseil Affaires étrangères du 22 juillet 2014, l’Union a rappelé qu’une solution durable au conflit israélo-palestinien devait être réalisée sur la base des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, des principes de Madrid, de la Feuille de route, des accords précédemment conclus entre les parties et de l’Initiative arabe de paix.
Initiative arabe de paix (2002)
Réaffirmant la décision du Sommet extraordinaire de la Ligue arabe tenu au Caire en juin 1996, selon laquelle une paix juste et globale représente un choix stratégique pour les États arabes, à réaliser dans la légalité internationale et nécessitant un engagement équivalent à cet égard de la part d’Israël,
Ayant entendu l’allocution dans laquelle S.A Royale le Prince Abdullah bin Abdul-Aziz, Prince héritier du Royaume d’Arabie saoudite, a présenté son initiative et demandé le retrait intégral d’Israël de tous les territoires arabes occupés depuis 1967 en application des Résolutions 242 (1967) et 338 (1973) du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies, telles que confirmées par la Conférence de Madrid de 1991, et du principe « terres contre paix », et demandé ainsi qu’Israël accepte l’avènement d’un État palestinien indépendant et souverain avec pour capitale Jérusalem-Est, en contrepartie de l’établissement par les États arabes de relations normales dans le contexte d’une paix globale avec Israël,
Partant de la conviction des États arabes qu’une solution militaire du conflit n’établira pas la paix, pas plus qu’elle n’assurera la sécurité d’aucune des parties,
1. Demande à Israël de réexaminer ses politiques et de pencher vers la paix, et de déclarer qu’une paix juste est aussi son propre choix stratégique ;
2. Demande en outre à Israël :
(a) De se retirer intégralement des territoires arabes occupés, y compris le Golan syrien, jusqu’à la ligne du 4 juin 1967, et des territoires du Sud-Liban qui sont encore occupés ;
(b) De parvenir à une solution juste et agréée au problème des réfugiés palestiniens conformément à la Résolution 194 (III) de l’Assemblée générale des Nations unies ;
(c) D’accepter la création d’un État palestinien indépendant et souverain dans les territoires palestiniens occupés depuis le 4 juin 1967 en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, avec pour capitale Jérusalem-Est ;
3. S’engage alors à ce que les États arabes ;
(a) Considèrent que le conflit israélo-arabe a pris fin et participent à un accord de paix entre eux et Israël tout en assurant la sécurité de tous les États de la région ;
(b) Établissent des relations normales avec Israël dans le contexte de cette paix globale ;
4. Garantit le rejet de toutes les formes de réinstallation de Palestiniens qui serait incompatible avec la situation particulière dans les pays d’accueil arabes ;
5. Exhorte le gouvernement israélien et tous les Israéliens à accepter l’initiative susmentionnée afin de sauvegarder les perspectives de paix et éviter toute nouvelle effusion de sang, permettant ainsi aux États arabes et à Israël de vivre côte à côte dans la paix et assurant aux générations à venir un avenir sûr dans lequel la stabilité et la prospérité pourront régner ;
6. Invite la communauté internationale et tous les États et organisations qui la composent à appuyer cette initiative ;
7. Prie le Président du Sommet de la Ligue arabe de constituer un comité spécial, composé des États membres intéressés et du Secrétaire général de la Ligue, qui serait chargé d’établir le contact nécessaire pour rallier l’appui en faveur de cette initiative à tous les niveaux, et en particulier l’appui de l’Organisation des Nations unies, du Conseil de sécurité, des États-Unis d’Amérique, de la Fédération de Russie, des pays islamiques et de l’Union européenne.
En ouvrant la porte à une intégration pleine et entière d’Israël dans son environnement régional, et en affirmant, ce qui est une première, la reconnaissance des principes de Madrid et des engagements de l’OLP, cette initiative représente, du point de vue de la Ligue arabe et de tous ses membres, un geste significatif en direction d’Israël.
Il s’agissait là d’une main tendue exceptionnelle. Pour autant, cette proposition de paix régionale, endossée dans la feuille de route du Quartet, n’a jamais reçu de réponse officielle et formelle de la part du gouvernement israélien. Le Premier ministre israélien de l’époque, Ariel Sharon, l’avait ignorée. Elle n’a pas non plus reçu de réponse officielle en 2013. Cette même année, 43 députés de la Knesset ont signé un appel au Gouvernement israélien à donner une réponse à l’Initiative arabe de paix, appel dont l’écho a été limité. (333)
Lors de la prochaine réunion de la Ligue Arabe, qui aura lieu fin mars, les États arabes pourraient travailler à une « opérationnalisation » de l’Initiative arabe de paix, qui pourrait être une incitation forte pour Israël.
Il était coutume d’affirmer qu’au Proche-Orient « il n’y a pas de guerre possible sans l’Égypte et pas de paix possible sans la Syrie ». La Syrie et l’Irak ayant disparu de la scène en tant que sujets de droit international, l’Égypte, qui commence à reprendre sa place sur la scène diplomatique, pourrait y travailler avec l’Arabie saoudite et ses alliés du Golfe. Il faut noter cependant que les pays arabes devraient demander des gages de sérieux pour remettre en avant une initiative qui n’est pas sans conséquence pour eux en termes de politique intérieure.
Dans la perspective d’une relance crédible du processus de paix israélo-palestinien, la France peut travailler à impliquer davantage les principaux acteurs du processus de paix parmi les États arabes, parmi lesquels la Jordanie, qui représente les États arabes au Conseil de sécurité des Nations unies, et jouera un rôle privilégié dans l’adoption d’une résolution équilibrée fixant un cadre aux négociations. L’Egypte et l’Arabie saoudite ont évidemment un rôle à jouer. La France, du fait de ses relations privilégiées avec ces deux pays, peut jouer un rôle de proposition. Elle pourrait enfin participer à convaincre Israël d’apporter une réponse à l’Initiative arabe de paix.
d. Préparer et garantir les conditions d’une paix durable : l’économie et la sécurité
Chaque nouvelle tentative qui se solde par un échec renforce un peu plus l’idée que le processus de paix n’est que rhétorique, nourrit l’antagonisme des parties, et fait peser sur la région le risque d’une radicalisation des acteurs et d’une montée des violences. Il ne s’agit donc pas seulement, cette fois-ci, d’essayer, mais d’aboutir.
Or pour aboutir, il faut offrir des garanties solides aux deux parties, en termes de sécurité et de partenariat économique. Il faut aussi rejeter les positions maximalistes pour encourager l’adoption de décisions difficiles et prévenir tout acte de violence qui viendrait remettre en cause l’application d’un accord.
● Faire valoir l’opportunité d’un accord de paix, offrir des garanties en matière de sécurité et de partenariat renforcé
Laurent Fabius rappelait en novembre 2014 à l’Assemblée nationale (334) que « la tradition de la France est d’être l’amie du peuple palestinien et du peuple israélien. Nos seuls ennemis sont les extrémistes, les fanatiques qui se trouvent de chaque côté et entravent la marche vers la paix ». De ce point de vue, les accords d’Oslo ont pêché par l’absence de contrôle international, d’arbitre. Le devenir de ce processus était suspendu à la bonne volonté des parties, qui ont été d’emblée prises en otage par les extrêmes, des deux côtés.
Ici aussi, l’action des Européens aux côtés des États-Unis et des États arabes, peut s’avérer déterminante. La France, au sein de l’Union européenne, peut jouer un rôle d’accompagnement majeur du processus de réconciliation au plan politique, économique, et de sécurité.
Côté israélien, des garanties sérieuses en matière de sécurité et la perspective d’un approfondissement du rapprochement économique peuvent être avancées en contrepartie d’un gel immédiat de la poursuite de la colonisation.
Selon Uri Savir, ancien négociateur israélien des accords d’Oslo (335), deux doctrines sécuritaires, la première tactique et la deuxième stratégique, s’affrontent aujourd’hui en Israël.
Au plan tactique, certains considèrent que le statu quo est préférable car il constitue une moindre prise de risque dans un contexte régional marqué par les crises dans le voisinage immédiat du pays.
De fait, il faut entendre les Israéliens lorsqu’ils disent craindre pour leur sécurité en cas de retrait de leurs troupes. L’expérience du Liban et de Gaza a laissé des marques profondes dans la mémoire de la population, qui ne sauraient être ignorées. Il est évident qu’un plan de paix sérieux devra veiller à la sécurisation des frontières et du territoire, et pour cela le rôle des États-Unis et de l’Union européenne est central. En mai 2011, Benyamin Netanyahou, dans un discours devant le Congrès américain, a ainsi déclaré: « il est vital qu’un État Palestinien soit entièrement démilitarisé, et il est vital de maintenir une présence militaire israélienne de long terme le long du Jourdain. » En outre, la construction d’un mur de séparation le long du Jourdain serait également évoquée (336). Uri Savir estime que le plan de sécurité (comprenant un mécanisme complet de contrôle terrestre et aérien de la Cisjordanie et de la frontière avec la Jordanie, le maintien de forces israéliennes le long du Jourdain) proposé par le général américain John Allen et son équipe aux Israéliens, a été étudié avec sérieux par les négociateurs mais trop vite écarté par les autorités politiques israéliennes. Il met en garde ces autorités contre toute position maximaliste qui serait à long terme défavorable aux intérêts vitaux d’Israël.
En effet, selon certains, au plan stratégique, la meilleure, et peut être la seule véritable garantie de la sécurité d’Israël réside dans un maintien de relations privilégiées avec les États-Unis et l’Europe, la consolidation de ses rapports avec l’Égypte et la Jordanie, une stabilité économique et politique et un accord de paix solide et durable avec les Palestiniens. La question sécuritaire ne peut être traitée uniquement sous l’angle technique, certes crucial car la sécurité d’Israël doit être garantie, mais doit passer par un règlement politique global du conflit.
Côté palestinien, il faut prévenir tout acte de violence qui viendrait remettre en cause les avancées d’un processus de paix. On se souvient que les attentats suicides menés à Jérusalem en 1996 ont grandement participé au sabotage des accords d’Oslo. Pour cela, il convient de renforcer les capacités de l’Autorité palestinienne, de promouvoir une réconciliation palestinienne respectant les principes du Quartet agréés par la communauté internationale, impliquant par conséquent le renoncement du Hamas à la violence, et de participer au développement économique et social de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, afin d’éviter des débordements violents qui annuleraient les efforts de paix.
Enfin, l’Union européenne peut continuer de promouvoir les bénéfices d’une paix négociée pour les deux parties. Il convient de faire valoir l’opportunité d’un accord de paix auprès de nos partenaires et offrir des garanties au plan sécuritaire, économique et politique. L’Union européenne a proposé aux parties, dans ses conclusions du 16 décembre 2013, la mise en place d’un « partenariat privilégié spécial » en cas d’accord de paix, qui n’a malheureusement pas rencontré l’écho attendu.
● Prendre des mesures concrètes lorsqu’une paix négociée entre deux États semble menacée : promouvoir le gel de la colonisation et une réconciliation inter-palestinienne conforme aux principes agréés par la communauté internationale
L’Union européenne doit tenir une position ferme sur le gel de la colonisation, dont la continuation menace elle aussi la solution des deux Etats.
La politique de l’Union européenne, dont la une position constante sur la colonisation, illégale au regard du droit international, a été rappelée dans les conclusions du Conseil Affaires étrangères du 10 décembre 2012, se montre de plus en plus ferme.
Ainsi, les lignes directrices qui visent à garantir que les financements européens ne bénéficieront pas aux colonies israéliennes sont entrées en vigueur le 1er janvier 2014. Une clause de territorialité a été introduite dans plusieurs accords conclus entre l’Union européenne et Israël, excluant les territoires occupés du champ d’application des accords, notamment dans le memorandum d’entente permettant l’association d’Israël au programme de recherche « Horizon 2020 », signé le 16 novembre 2013. Certains États membres appliquent ces dispositions également à titre bilatéral dans leurs accords avec Israël. Les importations de produits des colonies israéliennes ne bénéficient pas du régime douanier préférentiel prévu par l’accord d’association UE-Israël. Par ailleurs, la mission estime qu’en l’absence de volonté claire des autorités israéliennes de geler la poursuite de la colonisation et celle-ci étant de nature à menacer sérieusement une solution à deux États, il faudra poursuivre la réflexion relative à l’étiquetage des produits issus des colonies importées sur le marché communautaire (337).
Côté palestinien, le refus du Hamas d’abandonner la voie du terrorisme doit être fermement condamné. Cependant, il est tout aussi nécessaire de promouvoir, sans complaisance, ni naïveté, un processus de réconciliation inter-palestinienne conforme aux principes agréés par la communauté internationale, dont l’impasse fait peser des risques sur le processus de paix.
La France et l’Union européenne soutiennent, depuis 2007, la perspective d’une réconciliation inter-palestinienne, conduite sous l’égide de Mahmoud Abbas, qui serait conforme aux principes agréés par la communauté internationale (renonciation à la violence armée, reconnaissance d’Israël et respect des accords précédemment signés, notamment les accords d’Oslo).
Cette réconciliation serait la seule à même de redonner une véritable légitimité aux institutions palestiniennes (les dernières élections remontent à 2005 et 2006, le mandat du Président Abbas est terminé depuis 2009) et de promouvoir une amélioration sur le terrain, objectifs que la France soutient de longue date. Surtout, c’est le préalable nécessaire à un accord de paix crédible. C’est en effet la meilleure voie pour promouvoir le renoncement du Hamas à la violence et son acceptation complète des conditions posées par le Quartet (338).
L’accord de réconciliation inter-palestinienne est une réelle opportunité mais présente aussi des défis qu’il faut bien mesurer, le risque principal étant que les élections soient remportées par le Hamas à Ramallah comme en 2006 à Gaza. Il faut faire pression sur le Hamas pour qu’il ne soit pas tenté de faire échouer le processus en vue d’une autonomisation de la bande de Gaza, et convaincre Israël que son intérêt bien compris n’est pas dans l’effondrement complet de l’Autorité palestinienne.
L’Union européenne doit soutenir les efforts de Mahmoud Abbas, qui avance sur un fil ténu, en vue de mener à bien cette réconciliation. Il doit pour cela en avoir les moyens, au plan sécuritaire (l’Union européenne peut plaider en faveur de la réactivation de la mission Eubam), et économique (créer des conditions économiques meilleures favoriserait un contexte plus adéquat pour un accord de paix final). L’Union européenne peut participer à la restauration de la « souveraineté économique des territoires occupés, ce même si la Palestine n’est pas encore en mesure de devenir un État indépendant, car la pauvreté alimente l’extrémisme et l’extrémisme ne peut que nuire aux différents protagonistes » (339).
● Œuvrer à l’amélioration rapide de la situation à Gaza
L’Union européenne doit œuvrer activement à l’amélioration de la situation à Gaza. Il convient certes d’engager les parties à respecter le cessez-le-feu signé en août 2014, et l’Europe doit apporter tout son soutien à la médiation égyptienne. Mais il convient de bâtir une solution durable et non une accalmie précaire avant une nouvelle crise dont les populations civiles seraient les premières victimes.
Au plan sécuritaire, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont fait des propositions concrètes (340), qui portent à la fois sur le contrôle de la reconstruction, un soutien à l’ouverture de la bande de Gaza et des dispositifs en matière de sécurité. Elles prévoient notamment la participation active de l’Union européenne à la prévention de l’armement et du renforcement du Hamas et des autres organisations terroristes dans la bande de Gaza ; la facilitation d’un contrôle plus important de l’Autorité palestinienne et de son président Mahmoud Abbas dans la bande de Gaza au plan sécuritaire ; la réhabilitation de la bande de Gaza, en coopération avec la communauté internationale et l’Autorité palestinienne, qui permettrait un transfert de l’aide humanitaire ; la mise en place d’un mécanisme international pour empêcher l’entrée de substances interdites dans la bande et assurer que des matériaux tels que le ciment et le fer n’atteignent pas les organisations terroristes, mais ne seront utilisées que pour la réhabilitation de Gaza ; la mise en place d’une assistance de la Mission de l’Union européenne à la frontière de Rafah, entre Gaza et l’Égypte.
Pour l’heure, les conclusions du Conseil des Affaires étrangères du 15 août 2014 (341) ont permis de préciser les options d’action de l’Union, notamment à travers les missions de PSDC. Ont été évoquées la réactivation et l’extension à d’autres points de passage (Erez, Kerem Shalom) de la mission Eubam de supervision du point de passage de Rafah, et le lancement d’une mission de formation des fonctionnaires de police et des douanes de l’Autorité palestinienne, par le biais d’Eupol-Copps, déjà existante en Cisjordanie peuvent être discutées. Ces conclusions doivent aboutir rapidement à des propositions concrètes.
La sécurité est certes une partie de la réponse, mais une réponse purement sécuritaire au problème de Gaza serait de courte vue. Comme l’énonçaient les conclusions du Conseil Affaires étrangères de l’Union européenne du 15 août 2014, « un retour au statu quo antérieur au dernier conflit à Gaza n’est pas une option ».
Comme le souligne une étude récente (342), la reconstruction de Gaza est prise dans des logiques contradictoires qui en ralentissent le rythme, nourrissent la frustration de la population et rendent inefficace l’action des bailleurs internationaux.
Les deux auteurs de cette étude soulignent que le cycle absurde des destructions-reconstructions successives a non seulement un coût humain considérable, mais un coût financier et politique pour la communauté internationale. Marquée par trois conflits consécutifs en cinq ans, affaiblie par un blocus qui dure depuis sept ans, la bande de Gaza se trouve aujourd’hui dans une situation humanitaire critique qui peut avoir des conséquences sécuritaires majeures.
Le paradigme de la reconstruction de Gaza serait fragilisé par les contradictions suivantes : l’Autorité palestinienne est considérée comme la seule légitime par la communauté internationale, alors que la bande de Gaza est contrôlée de fait par le Hamas dont la popularité ne semble pas véritablement faiblir auprès de la population. Par ailleurs, Israël, puissance occupante selon le droit international, continue de contrôler l’accès des matériaux de reconstruction dans Gaza. La communauté internationale, qui partage les préoccupations sécuritaires d’Israël (crainte que le Hamas n’utilise la reconstruction comme un moyen de se réarmer), craint aussi fortement une désolidarisation accrue de la bande de Gaza et de la Cisjordanie. Ces « craintes combinées, le refus de la communauté internationale d’associer le Hamas à la reconstruction, combiné au manque d’autorité de l’Autorité palestinienne à Gaza ont compliqué et retardé les efforts de reconstruction »
Selon la même étude, la reconstruction de Gaza aurait pu fournir l’occasion, en s’appuyant sur toutes les forces en présence sous supervision internationale, à la re-légitimation de l’Autorité palestinienne à Gaza. En réalité son format actuel contribue à intensifier les tensions entre Fatah et Hamas, aux dépens de la population. L’étude critique également le mécanisme dit « Serry » de supervision de la reconstruction, qui non seulement risque de mettre en danger le personnel des Nations unies employé à cet effet, mais, en ralentissant la reconstruction, nourrit le marché noir. Enfin, le manque de transparence dans l’utilisation des promesses de don de la communauté internationale – les auteurs soulignent le fait que les puissances régionales suivent chacune leur propre agenda et soutiennent leurs « proxys » dans la bande de Gaza, ainsi que l’absence d’association des ONG présentes à Gaza à la définition des besoins ne permettent pas une véritable appropriation du processus de reconstruction par la population.
La reconstruction de Gaza n’est donc pas seulement une urgence humanitaire et un défi sécuritaire auxquels il faut répondre au plus vite, mais un problème plus large qui doit trouver une réponse politique, ce qui rejoint la question précédemment évoquée de la réconciliation inter-palestinienne dans le respect des principes du droit international, du retour à Gaza et du renforcement de l’Autorité palestinienne. La reconstruction de Gaza doit fournir l’occasion de renforcer l’unité palestinienne, sa légitimité et la stabilité sur le terrain. Votre rapporteure souscrit par conséquent à la proposition de l’étude précitée qui préconise la mise en place d’une supervision internationale de la reconstruction de Gaza, de nature politique, qui inclurait à la fois les différentes parties prenantes côté palestinien, les puissances régionales, l’Union européenne et les États-Unis, les Nations unies, la Banque mondiale et les membres de la société civile.
La mission estime que le blocus et les sanctions internationales isolent Gaza et nourrissent les extrémismes ; seul le développement économique, notamment via les exportations, pourrait y mettre un frein. Elle soutient à ce titre les dernières prises de position de l’Union européenne sur le sujet. Tout en rappelant la nécessité d’un désarmement de la bande de Gaza, les membres du Conseil ont, le 15 août 2014, souligné qu’un cessez-le-feu durable doit conduire à une amélioration fondamentale des conditions de vie de la population, qui passe par un desserrement du blocus de Gaza.
À la différence d’autres acteurs jusque-là très présents, en particulier les États-Unis, qui traversent une phase de désengagement relatif du Proche et du Moyen-Orient, en dépit de leur réinvestissement forcé, et volontairement limité, en Irak, après l’offensive fulgurante de Daesh au cours de l’été dernier, et à rebours d’autres pays, notamment européens, qui n’accordent manifestement pas à cette zone une priorité stratégique très affirmée, la France reste active à tous les niveaux, par son engagement politique constant dans la plupart des dossiers régionaux, par ses efforts diplomatiques sur le terrain et dans toutes les enceintes, en particulier à l’ONU, et par des coopérations souvent très denses avec de nombreux partenaires clefs de la région.
Cet engagement mérite d’être salué à sa juste mesure. Il contribue à donner à notre pays une voix et une place singulières qui sont attendues de lui dans cette région du monde. Il s’inscrit dans le cadre des liens étroits que nous entretenons avec de nombreux pays du Proche et du Moyen-Orient, notamment le Liban, la Jordanie, l’Egypte et certains Etats du Golfe. Il participe à la défense de nos intérêts nationaux, à commencer par notre sécurité intérieure, très largement engagée par le phénomène des djihadistes qui partent en Syrie et en Irak pour combattre aux côtés des groupes les plus extrémistes, en particulier Daesh. Membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, la France a aussi un statut particulier au plan international qu’elle doit mériter chaque jour en se montrant l’un des Etats les plus actifs sur tous les fronts (343).
Ce positionnement implique de lourdes responsabilités pour notre pays au Proche et au Moyen-Orient. Comme en Afrique, même si l’équation se pose en des termes différents, les efforts politiques, diplomatiques et matériels pourraient être mieux partagés et relayés au sein de l’Union européenne, grâce à un investissement plus déterminé de nos partenaires. Les différentes réunions interparlementaires auxquels participent des membres de la Commission des affaires étrangères sont souvent l’occasion de constater un intérêt assez limité de nombreux collègues européens pour cette région, largement éclipsée dans les esprits par le voisinage oriental de l’Europe. Le Proche et Moyen-Orient appartient lui aussi à l’environnement immédiat de l’Europe et sa déstabilisation croissante s’accompagne de menaces particulièrement graves pour tous.
Si la réponse sécuritaire à la montée en puissance de Daesh est une priorité pleinement justifiée, elle doit s’accompagner de solutions politiques aux crises que traversent l’Irak et la Syrie, d’une plus grande cohérence dans la mobilisation des principaux partenaires régionaux et d’un soutien renforcé aux plus fragilisés d’entre eux. La crise liée à Daesh ne doit pas non plus détourner l’attention de ses racines profondes. Elle s’inscrit dans le cadre de l’échec global des « révolutions arabes » de 2011 – hormis en Tunisie et même s’il est encore trop tôt pour porter un jugement définitif sur ce moment historique. L’essor de Daesh se nourrit des multiples crises non résolues de la région et d’un sentiment répandu de marginalisation, d’humiliation et de dépossession en matière économique et sociale comme sur le plan politique. Dans ce contexte, la question israélo-palestinienne demeure un abcès de fixation particulièrement lancinant, dont la persistance exacerbe d’autres crises. Son impasse totale et la nouvelle flambée de violences qui s’est déroulée à Gaza cet été nécessitent désormais une relance des efforts sur des bases largement revisitées (344).
Au regard de tous ces enjeux, la Mission appelle de ses vœux un suivi régulier de l’ensemble de la situation régionale au sein de la Commission des affaires étrangères, dans la continuité du présent bilan d’étape. Les travaux programmés à ce stade comportent notamment une mission d’information sur le Liban, qui s’intéressera probablement à la crise en Syrie et à son impact sur les pays voisins, un groupe de travail sur la lutte contre le terrorisme international, qui ne devrait pas manquer de continuer à travailler sur la réponse à Daesh, ainsi qu’une mission d’information consacrée à la Libye, autre foyer majeur de déstabilisation dans la région (345). L’évolution des négociations sur le programme nucléaire iranien et leur impact sur les équilibres régionaux nécessiteront aussi, à l’évidence, un suivi très attentif en Commission, de même que la question israélo-palestinienne.
Sources : Assemblée Nationale : rapport d’information sur le Proche et le Moyen-Orient ; « la question israélo-palestinienne : un conflit lancinant »