‪Adrien d’Esclaibes, Lieutenant pour la France de l’Ordre du Saint-Sépulcre mort en déportation au camp de Bergen-Belsen.

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Souvenir pour cet homme qui aimait la Terre Sainte !

Adrien d’Esclaibes, comte d’Hust, Bailli, puis Lieutenant pour la France de l’Ordre du Saint Sépulcre de Jérusalem depuis 1932 est mort  après d’affreuses tortures au camp d’extermination de Bergen-Belsen.

C’est Mgr Montini, le futur Paul VI, qui présentera les condoléances du Vatican à son épouse, illustrant la proximité du comte d’Esclaibes avec Rome.

Me Adrien d’Esclaibes, comte d’Hust, né à Paris VIIe le 10 mars 1882, était avocat.  marié le 20 mai 1908 à Villers-Châtel avec Jeanne Grenet de Florimond (Villers-Châtel, 29 août 1883 – ibidem, 29 mars 1957), sans postérité. Membre de l’Ordre de Malte et du Saint-Sépulcre, il avait dirigé la province scoute d’Artois.

Dans l’ordre du Saint-Sépulcre, il fut nommé le 20 mai 1931 président de la province de France, puis grand bailli et enfin lieutenant en vertu des statuts du 2 mars 1932. Il mit en place les nouvelles structures résultant de ceux-ci, conformément au décret portant organisation de la lieutenance de France, reçu le 12 septembre 1932 à Jérusalem lors du congrès de tous les lieutenants de l’Ordre. Il bénéficia pour cela du concours précieux et très actif de son chancelier, Léon Pinault, baron de Lormais († 1947), qui assura son intérim durant sa déportation. Il présida aussi l’Association des chevaliers pontificaux.

Maire de Villers-Châtel, il appartenait en effet au réseau résistant de renseignement Jade-Amicol depuis juin 1941. Il fut arrêté par les Allemands le 25 août 1944 à Villers-Châtel pour avoir hébergé des résistants du réseau Voix du Nord, interné à Loos et déporté le 1erseptembre 1944 par le dernier convoi parti de Tourcoing, à Oranienburg-Sachsenhausen puis à Bergen-Belsen, où il mourut pour la France, affreusement torturé, le 16 février 1945. Il fut assimilé au grade de sous-lieutenant à titre posthume.

Il avait reçu de nombreuses distinctions honorifiques civiles (chevalier de la Légion d’honneur, croix de guerre 1939-1945 avec citation à l’ordre du corps d’armée, médaille de la Résistance, grand officier de l’ordre de Nassau) et religieuses (camérier du pape, commandeur de Saint-Grégoire-le-Grand et de Saint-Sylvestre).


Chevalier pour combattre l’idéologie des méchants

Cette messe est célébrée pour les 70 ans de la déportation et de la mort au camp de concentration de Bergen-Belsen d’Adrien d’Esclaibes, comte d’Hust. Né le 10 mars 1882, il a 59 ans quand il entre en résistance dans cette France occupée par les nazis. Malgré ou grâce à tous ses engagements antérieurs, dans le scoutisme de France, dans la politique comme maire de Villers-Châtel, dans l’ordre du Saint-Sépulcre dont il fut lieutenant pour la France, malgré ou grâce à tout cela, il entre en résistance en juin 1941.

J’insiste sur ce fait qui fait mon admiration : au vu de son âge, de sa condition, de ses engagements, il aurait pu, en toute justice, continuer d’œuvrer dans cette société traversée de contradictions qu’était la France occupée. Sans collaborer directement avec l’occupant, il aurait pu, en justice, poursuivre l’œuvre sociale, caritative et éducative sans entrer en résistance active. Personne n’aurait pu lui en faire le reproche. Or, avec une détermination magistrale qui va le conduire à la déportation, il se refuse à laisser l’emprise du mal diabolique poursuivre son œuvre barbare.

Il relève le gant du combat idéologique comme un vrai chevalier. Ce fait est assez marquant pour qu’on le souligne. Car une chose est de travailler à combattre de face les pauvretés (si nombreuses) en soignant les malheureux, autre chose de combattre cette forme sournoise et souvent narquoise du mal que l’on nomme justement l’idéologie des méchants.

Car il y a une grande différence entre les malheureux et les méchants. « Il a délivré le malheureux de la main des méchants » nous dit Jérémie (XX, 13). Il faut s’occuper des uns et des autres mais seuls les chevaliers peuvent combattre les seconds. Expliquons-nous.

Il y a les malheureux : ils le sont en raison de la misère qui s’abat sur eux. Famine, peste, guerre pour parler des trois grands fléaux brûlant l’humanité. La mort, la blessure, la peur, la haine font les malheureux. Il nous faut en prendre soin en raison de notre commune humanité mais en raison aussi de notre vocation de baptisés qui nous fait être les mains de Dieu pour notre temps. Consoler, soigner, parfois guérir, éduquer, visiter… nous nous rappelons les six œuvres de miséricorde…

Mais il y a aussi les méchants : ceux qui font du mal. Que pouvons-nous faire pour ou contre eux ? Il ne nous revient pas de les juger : Dieu fait briller son soleil sur les bons et les méchants et seul Il prendra sa revanche sur eux. Car Lui seul sonde et connaît les reins et les cœurs. Nous n’avons pas à nous attaquer aux personnes. Mais néanmoins, il nous revient de les arracher aux esprits mauvais qui les habitent. Avec Adrien d’Esclaibes, nous pouvons penser à cet esprit mauvais qu’était le nazisme. On perçoit la ligne de crête sur laquelle nous sommes appelés à marcher : sans haine, sans jugement sur les personnes (nazies en son temps), le chrétien se doit d’exorciser les démons, de combattre les esprits mauvais qui s’emparent des hommes et en font des hommes méchants.

Qu’est-ce qu’un méchant ? C’est un homme qui veut et fait le mal pour le mal. Un homme qui cherche à détruire l’homme, la plus belle des créatures de Dieu, sans autre but que de la détruire. Il tue gratuitement, même pas au bénéfice de son confort. Quelque chose s’est emparé de lui, détournant son fond tourné vers Dieu. Une idéologie lui fait voir un autre homme comme indigne de vivre, coupable d’exister, condamné par avance. Elle lui fait trouver du plaisir dans l’accomplissement du mal, de la souffrance de l’autre.

Nous devons prendre garde à ne pas nous aussi nous laisser imprégner par ces langages et ces idées mortifères. Mais distinguons bien ces esprits malins des autres tentations. Nous sommes tous soumis aux tentations en particulier à cet esprit mondain et matérialiste, superficiel et individualiste — à ces tentations de la chair ou des yeux. Mais il s’agit ici de toute autre chose, de la tentation de l’esprit qui advient par l’idéologie. L’idéologie ne voit plus rien de la réalité ; elle ignore les choses telles qu’elles sont ; ce manque de réalisme la dénonce : elle veut faire entrer la réalité dans ses cases…

Pour combattre ces idéologies, il faut des « chevaliers ». Le chevalier, qui n’est pas cavalier dans sa façon d’être, est d’abord un cœur pur, adoubé dans le sang du Christ, sur sa tombe et sa résurrection. C’est un cœur pur. Non pas un homme sans péché (« sans peur et sans reproche » !) mais un homme dont le cœur est vide de lui-même : « Un homme qui ne souille son cœur ni avec le mal qu’il commet ni avec le bien qu’il fait », disait Dietrich Bonhoeffer.

Il doit posséder trois qualités nécessaires pour vivre et mener à bien son combat :

  • l’humilité d’abord, qui sera toujours la source de sa force : il la puise dans sa foi, en Dieu et dans la prière. « Seule l’humilité nous donne d’entreprendre de grandes choses sans avoir la peur d’échouer plutôt que de s’enfermer dans de petites choses où nous sommes sûrs de réussir » (père Dumortier). L’humilité capte la force de Dieu Lui-même au service de cette lutte. Les vrais humbles tentent même l’impossible, les faux humbles se cantonnent à leur mesure. L’humble n’aspire qu’à une chose : faire ce que Dieu lui demande ;
  • la confiance ensuite, qui sera toujours la vigueur de son courage : il la puise dans son espérance ; jamais il n’attend de la terre et du temps la réussite ; mais il regarde sa peur avec les lunettes de l’éternité. Même la mort ne le rebute pas, il ne se dérobe pas à sa mission parce qu’il contemple l’énergie de l’éternel dans le temporel. Il n’a pas le courage de l’inconscience mais le courage de celui qui compare sans cesse ce qui se passe dans le temps à ce qui se passe dans l’éternité ;
  • la générosité, qui sera toujours la mesure de son action : il la puise dans son amour, ou plus exactement dans un cœur magnanime, un cœur peu enclin à compter les coups reçus mais prompt à se souvenir des bienfaits reçus. Il se donne sans avoir la peur de manquer. Il se donne avec une mesure large, bien tassée. Il se donne jusqu’au bout : la générosité d’Adrien d’Esclaibes a atteint son maximum ; il a suivi dans la prière la vie de son Maître, fidèle à le suivre jusqu’à la croix avec à ses côtés sa mère du ciel, la Vierge Marie. Ce fut sa dernière parole : Marie.

Mgr Luc Ravel,
évêque aux armées françaises,
homélie pour la messe du 27 mars 2015 en suffrage d’Adrien d’Esclaibes d’Hust.